mardi 8 janvier 2008

I AM LEGEND

I am legend ou Robert Smith a la messe

I Am Legend aura connu plus de rebondissement dans sa production qu'il n'y en au final dans son scénario. Il y a 10 ans de ça, le film devait être réalisé par Ridley Scott avec Arnold Schwarzenegger sur un script de Mark Protosevich. Jugé trop coûteux le projet fut abandonné, puis repris par l'inénarrable Will Smith. Un temps prévu pour le truculent Michael Bay, puis pour le fantasque Guillermo Del Toro (qui préfère se consacrer à Hellboy II, qu'on retrouvera probablement dans ces colonnes) il finit par être réécrit et produit par le détestable et détesté Akiva Goldsman, coupable des scripts catastrophiques de navets comme The Da Vinci Code, I Robot ou encore le haut en couleur Batman & Robin... Celui qui se retrouve parachuté à la réalisation de ce film c'est Francis Lawrence adulé par les musicologues amateurs de bidons de lessive (il a réalisé des clips pour J-Lo, Britney Spears ou les pénibles Green Day), et célébré par les croutophiles et les bousophages de tous poils pour Constantine.

D'emblée, passées les premières minutes du film, on commence à craindre le pire, anticipant un naufrage prévisible. Car dans New York déserté, dévasté, entièrement abandonné aux animaux sauvages le jour et terrain de chasse pour vampires la nuit, Will Smith est Robert Neville, le dernier survivant, the last man on earth, l'ultime rescapé du retrovirus qui aura décimé quasiment toute la population.
La première partie de ce film ultra conservateur impressionne grâce au décor bluffant des vastes rues de Manhattan rendues à l'état sauvage, même si ce monde post apocalyptique a finalement un rendu très propre : pas de cadavres, pas de trucs qui pourrissent, ça reste très calibré pour le "grand public"... Et parfaitement en adéquation avec cet esprit consensuel, le personnage de Will Smith agace. Et il agace très très vite !
Le soucis c'est qu'on ne se retrouve pas tant avec Will Smith jouant (même mal) un personnage, mais qu'on se retrouve avec un personnage "devenant" Will Smith. Si dans un film comme MIB, ça fonctionne, le film étant écrit pour lui, dans I Am Legend, ça fait disparaître toute l'ambiguïté du personnage original par une caractérisation consensuelle et attendue... Mais ça, on commence à avoir tellement l'habitude qu'on ne simulera pas la surprise, lassé par un fatiguant sentiment de déjà vu.
On se retrouve donc avec un Neville super "cool", qui fait du sport tous les jours, a des abdos de malade, joue au golf sur une aile d'avion de chasse et roule comme un ouf dans Manhattan en Ford Mustang ! Il est bien sûr intelligent et doué, il est attentionné avec sa famille, c'est évidemment un militaire accompli mais strict doublé d'un scientifique rigoureux, il chasse le daim mais reste un grand tendre lorsqu'il voit que la lionne dans son viseur est accompagné du papa lion et de deux lionceaux trop choupis. Il sait faire des piqûres comme il sait utiliser son fusil d'assaut. Il est beau et il kiffe Bob Marley parce que Bob Marley, comme le président des USA, ne prend pas de vacances contre les méchants. La première demie heure est une publicité nous vantant la coolitude d'un Will Smith toujours fidèle à lui même, évoluant dans des univers interchangeables.
Fatalement, lorsqu'on essaye de montrer Neville comme ayant des failles psychologiques, on n’y croit pas une seule seconde. Parfaite illustration d'un casting qui se tire une balle dans le pied. Il assure tellement Will Smith qu'on ne s'inquiète pas une seule seconde pour lui, le film prend ainsi un rythme très ronronnant, pas forcément désagréable mais dégagé de toute implication.
Si on est saisi par les décors qu'offrent NY rendu à l'état sauvage, il faut reconnaître qu'on est carrément pétrifié par l'incompétence carabinée (et c'est peu de le dire) des responsables des bestioles en effets numériques... lions, daims et surtout, et c'est quand même beaucoup plus grave, vampires ! Tous semblent sortir d'un film d'il y a au moins dix ans. Ces fameux vampires, ou hémocytes pour faire celui qui s'y connaît, sont incroyables de laideur. Eclairés n'importe comment, animés comme dans un Tex Avery, ils sont en plus affublés d'une dégaine de merde au design complètement nul qui semble avoir été dessiné vite fait par un débutant paresseux qui aurait mal recopié des trucs déjà vus (entre Golum et les créatures de The Descent, c'est dire si c'est intéressant). Et pour rajouter la cerise sur ce gâteau faisandé, ces hémocytes sont d'une pénibilité assommante, cabotinant comme des crétins, toujours à faire des grimaces, à hurler pour rien et, malgré le premier degré sérieux dont le film prétend se draper, ils sont affublés d'un traitement des plus fantaisistes. Maigres comme s'ils revenaient de Pologne en 45, pâles comme des geeks qui seraient restés six mois à se branler sur des jpg, ils ont des capacités physiques totalement surhumaines et improbables ! On voit quand même deux spécimens renverser une voiture en donnant un coup de tête dedans ! Ils grimpent aux murs comme Spiderman, font des bonds comme Jack Nicholson dans Wolf et jouent comme les vampires de 30 jours de nuit... Le traitement scénaristique de cette belle brochette numérique souffre, à l'instar du film entier, de la réécriture contradictoire du script. Présentés tour à tour comme des animaux enragés ou comme des êtres doués d'intelligence, ces sévères approximations (et il n'y a pourtant pas grand chose d'autre à raconter dans le film) sabordent toute la complexité du matériau de base. Ces hémocytes sont ils si "sauvages" ? Neville est il si "humain" ? Cette interrogation aurait probablement emmerdé les hordes de fans de Will Neville (ou Robert Smith ? uh uh uh) venus se délecter de la prestation de leur idole. C'est là la différence entre film de consommation rapide, calibré pour faire de la maille et l'oeuvre d'un auteur. Et on se prend à rêver à ce qu'aurait pu donner ce film si il avait été pensé comme autre chose qu'un produit marketing à l'idéologie de bazar et au propos véhiculant une affligeante bêtise. La scène du piège est emblématique du mépris évident d'Akiva Goldsman et de sa réécriture de bouseux. Originellement, Neville commençait à onduler sérieux de la toiture et se prenait les pieds dans son propre piège, puis ainsi capturé, il était ramené chez les vampires et découvrait une civilisation en train de naître. Il commençait ainsi à comprendre la nature philosophique de sa situation de "chasseur de vampires" et l'on pouvait retrouver l'interrogation du roman de Matheson, n'est ce pas le nombre qui fait la normalité... Foin de tout ça, un fois réécrit le film montre juste Neville capturé par un piège tendu par des animaux enragés, d'une idée intéressante on en fait une péripétie idiote ! Idiote comme l'idée des chiens mutants dressés, idiote comme la mort attendue du clébard trop mignon sonnant un tournant hardcore en carton pâte pour des crétins ne voyant le cinéma uniquement que comme un divertissement léger à consommer entre les frites et le coca, idiote comme la réalisation minable de ces scènes d'action sinistres de platitude et dépourvues de tout suspens, illisibles "à la mode d'aujourd'hui", on secoue à fond la caméra, pensant que décollera l'intérêt du spectateur. Rien de bien nouveau c'est toujours la même odeur de merde qui suinte.

Puis agacé par un film prometteur plutôt raté, on entre comme l’on pénètre sur un lieu saint dans le dernier tiers du film. Le spectateur affligé découvre éberlué le tournant confondant de connerie que va prendre toute cette histoire, il est prié d’enlever ses chaussures, de se découvrir, de mettre un genou à terre, de commencer à joindre les mains mais surtout qu'il ne mange pas le bacon, il est pas kacher ! Alors que Smith Neville décide de se suicider dans un affrontement nocturne avec les méchants vampires, deus ex machina dans ta race, une puissante lumière divine le sauve in extremis, puis il se retrouve à moitié inconscient dans une voiture sous la protection de ce rituel instrument de torture dont on parsème volontiers les paysages en terre chrétienne et qui pendouille benoîtement au rétroviseur.
On retrouve enfin le thème central du cinéma américain de ces dernières années : la recomposition de la famille. Un Noir, une Latino et un p'tit gamin Blanc pour que tout le monde puisse se sentir concerné. Pour bien nous expliquer que Neville est un peu fou, on nous montre Smith à contre emploi, brutal et un peu méchant, mais le spectateur n’est pas dupe et il sait bien que c'est parce que la croix qu'il porte seul est trop lourde ! Heureusement, le DVD de Shrek va réunir tout le monde et ô miracle ! C'est très ému que le spectateur se rend compte qu'il y a une analogie bouleversante dans le dialogue entre l'âne et l'ogre vert et la situation de Will Smith ! Quelques instants plus tard, celui ci explique que son héros c'est Bob Marley, et merci de nous coller un morceau derechef ! Le dernier homme sur Terre n'est peut être pas seul, mais il a des goûts de chiottes c'est certain ! J'imagine l'enfer que ça serait d'être seul au monde et de tomber sur un autre survivant qui triperait sur Shrek en écoutant du reggae... De quoi détricoter la housse des sièges pour se faire une corde…
Alors quelle peut être la conclusion d'un survival dont l’ambition politique est résumée par un CD de Bob Marley et où la portée mythique est illustrée par un DVD de Shrek ? On a beau craindre le pire, on ne peut pas imaginer un dénouement d’une telle beauferie conservatrice. La fille est une illuminée et est présentée comme telle. Elle explique que Dieu lui a parlé, l'a guidé jusqu'à Neville pour lui sauver la vie et l'empêcher de se suicider. Ce dernier réfute bien sûr cette hystérie théologique et explique dans une scène qu’agite les mous du bulbe comme un hochet que Dieu n'existe pas... Will Smith renie Dieu ! Oooooooh... (Imaginons les mines stupéfaites d'une partie du public) Il le renie car il a perdu la foi, et comment qu’il l'a t'il donc bien perdu einh ? Eh bien parce que sa femme et sa fille sont mortes dans un accident d'hélicoptères juste après qu'ils aient longuement prié… Décidemment les voies du Seigneur sont impénétrables… sauf peut être pour les scénaristes de la Fox !
Bref, l’aveuglement religieux de cette grenouille latino confronté à l'aveuglement scientifique de Neville était en soi une bonne idée, mais le chemin de cet antagonisme n'est évidemment pas foulé par un film qui lui ne se foule pas non plus et qui nous refourgue le coup de la Révélation. Passé l'assaut de la maison, raté comme toutes les autres scène d’action, on retrouve Will Neville Robert Smith réfugié dans son labo et qui se rend compte qu'il a trouvé le vaccin. Les vampires après avoir défoncé une porte blindée en un tour de main tentent de péter la porte en plexiglas à force de coup de boule ! Will, la brebis égarée qui aura, comme Pierre, par trois fois renié son Créateur avant le lever du soleil, va avoir une vision : "Look a butterfly" lui faisait sa fille Marley (sic) et, soudain, il aperçoit un papillon sur le cou de la folle, puis les éclats de la vitre dessinent deux ailes.
En voulant vaincre le cancer les scientifiques ont osé défier les plans du Seigneur, une fois de plus l'humanité a pêché par son orgueil démesuré (et c’est souvent à cause du pouvoir scientifique ou fédéral, source de tous les maux dans les films yankees). Heureusement un soldat de l'exemplaire armée des USA saura être le bras armé de Dieu et saura se sacrifier pour racheter toutes nos fautes. Neville a une Destinée qui le dépasse, son sang est le remède qui sauvera les Hommes de ce qu'ils ont eux mêmes provoqué. Le vaccin enfin découvert, Will Christ hurle aux vampires "je peux tous vous sauver" et il finit par admettre à l'illuminée qu'il avait tort... "Je sais pourquoi vous êtes là", il offre la fiole contenant son sang telle une sainte relique. Ce revirement de situation donne donc raison à la fille et par là même on conclut que toutes les inepties qu’elle a déblatéré sont a prendre au premier degré, elle a bel et bien tapé un bout bavette avec Dieu qui lui a raconté la fin du film et qui lui a révélé la présence d’une nouvelle colonie d’immunisés, purs d’entre les purs.
La conclusion de cette bobine bénie nous montre donc cette envoyée de Dieu, cet ange aux ailes de papillon arriver aux portes de la Nouvelle Communauté, sorte de petit village WASP implanté sur une colline où trône fièrement une église immaculée, entouré d'un mur d'enceinte et de soldats armés. Une bible dans un main, un fusil M16 dans l’autre, Dieu comme copilote et c’est parti pour de nouvelles aventures. Un véritable fantasme pour fondamentalistes religieux, un paradis pour redneck... A l'image de l'Amérique voulue par les neo cons.
Grâce à Dieu, la société est préservée. N'ayez plus peur, entrez dans l'Espérance. Amen.
Bordel, à la fin du film j'avais l'impression de sortir de la Messe…

Alors on peut se laisser charmer par le spectacle, si on est pas bien difficile, si on accepte les plus grosses incohérences (comment la meuf fait elle pour arriver sur Manhattan alors que tous les ponts sont pétés, comme parvient elle a traîner Smith dans sa voiture alors qu'elle est assaillie de vampires et comment fait elle pour survivre à l'explosion qui aura soufflé le labo... La main de Dieu probablement) et le j'm'enfoutisme général qui émane de ce film, on ne peut pas décemment fermer sa gueule devant le calibrage de ce genre de productions qui véhiculent une version conservatrice, religieuse et profondément détestable de la société. Pour traiter tout ça à la légère, ne pas y voir de propagande religieuse obscurantiste ou penser que l'on peut voir ce film sans prendre en compte le contexte de l'époque, il faut être sacrément idiot.
Ou sacrément bouché.

I am Legend clôture cette année de films de merde d'une belle manière. Nauséabond et détestable. Idiot et réalisé n'importe comment. Superficiel et incohérent.

Epilogue
: 330 millions de dollars engrangés plus tard, on entend parler de I am Legend 2 !!!
Vous me direz, il n’a fallu que trois jours à Jésus pour ressusciter…