dimanche 29 mars 2009

WATCHMEN


Réputé inadaptable le gros pavé d’Alan Moore et Dave Gibbons est passé ces 20 dernières années entre les mains de Terry Gilliam le poissard, dans celles de l’épileptique Paul Greengrass ainsi que dans celles du volatile Daren Aronofsky sans qu’aucun d’entre eux ne parviennent à aboutir à un quelconque résultat. Pendant ce temps là d’autres loustics se chargèrent d’adapter d’autres livres à l’écran et les films issus de l’univers de Moore se mirent à squatter les salles obscures avec une régularité horlogère que n’aurait pas renié Osterman père. Résumons pour les étourdis : 2001 From Hell (des frères Hugues), 2003 La ligue des gentleman extraordinaires (de S. Norrington), 2005 Constantine (de F. Lawrence) et en 2006 les frères Wachowski produisent V pour Vendetta réalisé par J. Mc Teigue. C'est un film tous les deux ans mais c'est surtout un sans faute indéniable dans la médiocrité absolue, contrastant sans vergogne avec la qualité de l’œuvre pillée !
Réputé inadaptable Watchmen l’était, enfin il l’était jusqu’à ce que l’un des tâcheron les plus détestable de notre époque s’en empare et que sous le poids de la propagande commerciale ce kidnapping devienne un événement. « Par le réalisateur visionnaire de 300 » clame sans honte l’affiche hideusement photoshopée de cette sombre forfaiture. Snyder catapulté réalisateur visionnaire après la tape à l’œil et sans intérêt Armée des morts et la fresque foireuse comme un pet aux fibres que fut 300 c’est déjà, avant toute chose, une sacrée plaisanterie. Au moins, on ne pourra pas dire qu’on n'était pas prévenu et c'est motivé par une curiosité sacrément malsaine qu'on se traina un soir dans une salle obscure pour contempler ce Watchmen qui déchaîne les passions et fait s’entredéchirer les geeks jusqu’au prochain nonosse qui leur sera vendu. Nous nous sommes donc tartiné pendant 2h40 de la bêtise, de la vulgarité et du cynisme d’un des réalisateurs les plus néfastes et les plus cons de sa génération : Zack Snyder !

Alors qu’en est-il de son nouvel opus ? Je dois avouer que c’est quand même un peu moins mauvais, un peu moins con et un peu moins moche que 300 qui avait placé la barre assez haute dans la nullité et la misère visuelle la plus totale. Snyder adaptant la BD de Miller le gros réac, c’était quand même un chouia pompier et ça faisait un peu ton sur ton. Ce coup ci, Snyder a un atout de poids : une histoire forte et complexe à adapter, en tout cas un peu plus complexe et un peu plus maline que la quête de ses 300 têtards bodybuildés à l’aérographe éructant des wahou gutturaux devant des monstres en CGI. Bon, il a ce coup ci l’avantage de ne pas avoir eu besoin de se poser de questions, encore moins de questions sur la mise en scène, ayant le découpage dynamique de l’œuvre de Gibbons et Moore comme béquille, voir même comme fauteuil roulant tellement Snyder en gros fainéant se laisser trimbaler paresseusement par le livre. Pourquoi se faire chier alors que le travail semble déjà tout prémâché et qu’on peut ainsi montrer sa mine réjouie et ses casquettes de la NRA sur les plateaux de télé du monde entier en clamant son adoubement au livre original ?
C’est pitoyable, et misérables sont ceux qui mangent de ce pain là.
Dans cette démarche de reconstitution animée des cases de Gibbons, certaines idées visuelles semblent fonctionner, c’est indéniable, d’autres beaucoup moins et elles sautent aux yeux. Le casting est dans le même esprit et pour un ou deux bien choisis (Rorschach et le Comédien par exemple) d’autres sont au mieux à côté de la plaque (le lumineux Ozymandias laisse la place à un sous Batman digne d’un Schumacher des années 80 donnant une touche grotesque et fofolle à un personnage pourtant voulu comme sérieux et intriguant) au pire totalement hors sujets (le Spectre Soyeux est censée être une femme d’une quarantaine d’années bien tassées qui regarde son passé avec amertume, elles est donc jouée par une gloussante suédoise de 30 balais).
Au niveau de la mise en scène, c’est la médiocrité crasse, le manque total d’investissement intellectuel et l’absence vertigineuse de point de vue, tout ça rendant inévitablement le film inintéressant et surtout jamais intriguant. Ce qu’on voit à l'écran n’est acceptable que lorsque la réalisation se borne à n’être que bêtement illustrative. C’est paradoxalement lorsque Snyder est le plus bête qu’il est le moins mauvais, car lorsqu’il commence à réfléchir et à nous proposer un cinéma plus personnel, lorsque le « réalisateur visionnaire » a ses fameuses visions, on sombre dans un ridicule achevé, celui qui fait triper les fans décervelés du réalisateur, hypnotisés par trois pauvres astuces visuelles surannées. On a déjà beaucoup glosé sur la scène de cul ou sur les ralentis (patte ultime du maestro) censés renforcer le sentiment de violence alors qu’ils la désamorcent systématiquement en faisant ressembler n’importe quelle baston en pub pour shampoing (les chorégraphies du Spectre Soyeux ont étées particulièrement travaillées au niveau capillaire, surement parce qu'elle le vaut bien !).
En gros, parions que si on refilait le pdf de la BD et une imprimante couleur à Snyder, on se retrouverait avec un truc imprimé de travers avec des prospectus publicitaires coincés entre les pages. Ce type est un danger pour le cinéma, pour la bande dessinée et pour la culture en général. Snyder, Pitof et Gens sont sur un bateau, le bateau coule qui est sauvé ?
Le cinéma de genre…

Watchmen le livre, outre les différentes mises en abîme qu’il propose, est une bande dessinée sous influences, notamment cinématographiques (This island earth entre autres). Snyder a compris qu’il aurait tout à y gagner à faire de même, mais si les citations choisies par Moore approfondissent le propos, celles de Snyder restent à un niveau purement ludique, bêtement gratuites. Des associations d’idées sans aucun sens.
Parce que les rares fois où il s’arrête de suivre bêtement le story board de Gibbons, Snyder le visionnaire reproduit ce qu’il a déjà vu et aimé et qui semble rentrer dans son film, sans se poser la question du sens que ça donne. Là aussi, ça semble avoir été fait au petit bonheur la chance et là encore le résultat est plus qu’inégal. Citant à chaque fois que l’occasion lui est donné ses films préférés Snyder régurgite avec une finesse de Spartiate Blade Runner et Taxi Driver pour rendre plus cool Rorschach se trimballant sur le pavé mouillé d’une grande ville déshumanisée. On parle de menace nucléaire ? Il cite évidemment Dr Folamour au décor et au cadre prêt produisant une véritable photocopie des plans du film de Kubrick. Mad Max 2 (2 scènes en boucle) et 1984 sur le mur d’écran d’Ozymandia. Amusant tout ça, mais tellement vain. On va au Vietnam tuer d’immondes cocos lors d’une scène d’une hilarante ringardise ? Et c’est bien sûr la Chevauchée des Walkyries qu’on nous sert, pourquoi diable aller plus loin ? Aucun sens à chercher à part celui de la citation populaire évidente à laquelle n’importe quel spectateur pourra s’accrocher, ayant l’impression de saisir toutes les finesses d’un film qu’on lui présente comme complexe et original. Snyder fait feu de tout bois, le propos de Moore devient imbécile, son film séduit l’égo du spectateur qui reconnaîtra la référence et il réduit Apocalypse Now à un unique gimmick privant le film de Coppola de toute signification et le réduisant à une vulgaire astuce. Snyder c’est une telle catastrophe que je suis sûr qu’un jour Roland Emmerich tournera un biopic sur lui !
Snyder est un ambitieux et ça ne lui suffit pas de faire du cinéma de cons, il faut qu’il réduise ce qu’il adapte et ce qu’il cite à son niveau de têtard ahuri. Et pour ce faire il va flatter l’égo du spectateur en le caressant dans le sens du poil et en lui servant des idées aussi démagogiques qu’évidentes pour le prendre par la main et lui susurrer aux oreilles avec toute la finesse offerte par le thx ultraboombass « regarde comme tu es intelligent tu as reconnu ici Andy Warhol, là Kennedy etc etc etc… »
Au final ces gadgets visuels distraient l’assistance qui pendant qu’elle s’amuse à reconnaître telle ou telle référence n’a pas le temps de penser au sens de ce qu’elle voit. Le traitement de la crise nucléaire a beau être réglé en deux scènes complètement pourries, sans enjeu et sans tension dramatique, il reste pourtant l’amusante représentation iconique. De l’esbroufe, ni plus ni moins. De la merde.
Pour être honnête et comme je le disais plus haut certains choix semblent judicieux et même un me semble carrément malin. Une sorte de joyaux dans une cuvette de merde, un peu comme si on regardait son chien se soulager sur le trottoir et qu’on distinguait, d’abord intrigué puis carrément ahuri, un objet précieux dans les selles de l’animal qui au milieu de sa pâté indigeste aurait avalé un quelconque trésor. On se penche et on hésite car on est réticent à mettre les mains dans la merde pour dégager la pépite, surtout en public. Tant pis, j’y fourre mes mains et c’est avec une certaine honte que je me sens obligé de dire que le choix de la musique de Koyaanisqatsi, le chef œuvre contemplatif de G. Reggio, est une idée fort intéressante. L’observation décalée et cynique du monde des humains de ce film semble bien correspondre au caractère du Doc Manhattan au point même que la phrase du livre « Serait-ce embelli avec un pipeline ? » qui est reprise dans le film propose, par l’utilisation de la musique de Glass, une étonnante correspondance avec le film de Reggio...

Pour le reste, le renoncement intellectuel est total. L’exemple le plus flagrant est le traitement de Rorschach. Si Snyder filme consciencieusement (à défaut de fidélité) le jeune Walter Kovacks mordant son agresseur à la joue, il oublie que les taches du test de rorschach sont un symbole et que dans la tache il voit sa mère se prostituant avec un client, que le fruit mûr éclaté sur sa face dessine son masque et que sa naissance en tant que super-héros se retrouve dans la tache du crâne éclaté d’un chien. Sans forcément demander à ce que Snyder respecte la structure symétrique du récit, passer tout ça sous silence c’est juste comme s’il pissait directement sur ce qui faisait l’essence même du récit polysémique (ce mot que personne ne connaissait il y a 2 mois est devenu très à la mode) de Moore pour n’en garder que les oripeaux les plus colorés.
Le refus de toute ambiguïté et de toute complexité ainsi que l’impitoyable formatage hollywoodien transforment tranquillement le propos subversif de Moore en quelque chose d’insidieusement détestable. Du renoncement on passe ainsi au détournement pur et simple. Les super héros de Moore sont d’anciens vigilantes réactionnaires, travaillant pour une cause ultra patriote et luttant contre le libéralisme des sixties. En 1985 ils ont leur vie derrière eux et le récit jette un regard désabusé sur leur œuvre, le rêve américain et leur culture. Snyder présente lui ses héros comme de simples portes mentaux avec des costumes bien lisses, et qui n’existent qu’autour d’une ou deux caractéristiques les associant au nouveau courant de ces super héros dits post modernes . Le hibou est une sorte d’ectoplasme impuissant, le Spectre n’est qu’une dinde souriante qui n’existera qu’au travers d’une scène où la véritable identité de son géniteur sera évoquée. Le fait que ces personnages aient flirté avec l’extrême droite, qu’ils soient soutenus par la presse populiste et qu’ils soient détestés du peuple passe tranquillement à l’as. Et Snyder ose nous dire qu’il est là pour respecter le point de vue de l’auteur… Que seul le Comédien endosse le rôle du méchant (« c’était presque un nazi ») et que ses compagnons soient les héros confortables d’un film résolument grand public ne trouble personne et surtout pas Snyder qui doit trouver ça cool, vu qu’il est pote avec des fachos comme Miller ou Milius… Que le Hibou laisse Rorschach torturer un homme entérine juste le dicton qui veut que la fin justifie les moyens. Utilisé dans le film uniquement comme un mécanisme pour faire progresser l'histoire ce genre de détail créé juste un véritable contresens avec les intentions de l'auteur. Snyder encore une fois a du trouver ça cool...

De quoi parle le film alors ?
A l’instar des personnages qui n’existent que par leurs costumes, l’histoire n’existe que par son intrigue. Le sujet se rétrécie donc à la simple résolution de l’énigme : Qui donc tue les masques ? A la fin on le sait et hop le film est fini. Rideau. On tire la chasse.
Et là où le livre proposait une fin audacieuse, le besoin de resserrer un matériau trop riche conduit Snyder et ses scénaristes à nous raconter n’importe quoi. Plutôt que de craindre une menace extra terrestre, Snyder préfère donc que l’humanité soit solidaire dans sa crainte de Dieu, surtout si celui-ci est américain (et même si c’est une supercherie, et même si il ressemble à un schtroumpf géant qui se balade la bite à l’air). A un tel niveau de trahison, l’équipe du film mérite le même mur que celui où l’équipe de I am Legend aurait du être exécutés.
Watchmen ainsi dépouillé n’est plus qu’un squelette sur lequel la machine hollywoodienne enrobe à coups de millions de dollars un spectacle calibré qui fera illusion en remplissant le cahier des charges habituel : des combats violents, quelques effusions gores, un peu de sexe et pour la caution rebelle bad ass un ou deux pseudos tabous qu’on transgresse (la femme enceinte abattue, le nu frontal) oubliant bien vite que des films allant bien plus loin ont toujours existé et qu’on a là quelque chose d’aussi authentique qu’un Mac Do au pain complet.
Au final la plus grosse arnaque n’est pas le plan d’Ozymandias mais plutôt celui de Snyder, de sa production et des décideurs qui financent ce genre de merde. On a lu un peu partout les plaintes des uns et des autres accusant Snyder de n’avoir rien adapté et d’avoir fait au livre ce qu’on faisait autrefois aux films : une sorte de novellisation à l’envers. Ce n’est pas si vrai que ça. Il y a eu un véritable travail d’adaptation, parce qu’au final ce qui est important ce n’est pas adapter le discours de Moore, ou d’appliquer au cinéma ce qu’il disait sur la BD, l’important c’est d’en faire un machin manufacturable. Un produit lisse, un outil commercial permettant d’engranger des profits là où auparavant il n’y avait rien en profitant des fondations qu’offre une œuvre originale pour faire jaillir une nouvelle franchise. Au final ça ne reste qu'un alibi pour que les gens restent assis à ingurgiter du pop-corn par seaux entiers…
C’est la même démarche que pour le remake honteux de Zombie dont il n’avait retenu que l’équation Zombie = morts vivants + supermarché. Sans s’intéresser à ce qui faisait la moelle du film de Romero.
Il est évident que celui qui n’a pas lu le livre verra dans le film un blockbuster ayant l'apparence d'être moins débile qu’à l’accoutumée, mais ce n’est pas que c’est mieux, c’est surtout que le reste du temps c’est désespérant et qu’il n’y a même pas une béquille solide à tordre. De la culture prémachée destinée à un public qui avale les films au rythme de ses cocas.
On en vient à se demander si ces bâtards prennent leur pied à massacrer les chefs d’œuvres de la contre culture des 70’s ou des 80’s pour les forcer à rentrer dans leurs schémas idéologiques réactionnaires ou si c’est uniquement dans un but de rentabilité immédiate qu’on standardise des œuvres originales en savonnettes ?

Pour moi la conclusion de tout ça sera toute simple : Pour 2011 notre réalisateur visionnaire prépare une suite à 300 qui sera basée sur un nouveau projet de Miller… 300 2. Quelle misère, m’enfin tant qu’il laisse tranquille ce qui existe déjà…