vendredi 12 juin 2009

TERMINATOR SALVATION


Dès la fin des années 50 le cinéma américain fut constellé d'oeuvres de SF mettant en scène la destruction de l'humanité par la bombe H, la mère de toutes les bombes (Le Dernier Rivage, Dr Folamour, La Bombe, Fail Safe... ). Les années 70 proposèrent ensuite le spectacle de sociétés reconstruites sur les cendres de l'apocalypse, des sociétés fascistes (Rollerball ou L'Age de Cristal) ou carrément barbares (Mad Max 2 en 1982). Probablement provoquée par la reprise des hostilités et des discours catastrophistes et va t'en guerre entre russes et américains depuis l'élection de Reagan en 1981, on assiste durant les eighties au retour des films post-nukes. 1983 avec Testament et The Day After, 1984 avec le britannique Threads ou en 1986 avec le dessin animé When the wind blows. Tous ces films théorisent et rivalisent d'imagination et de détails pour nous montrer ce qui nous pend alors au nez : la fin probable et toute proche de l'humanité.
C'est en 1984, donc en plein milieu de ce revival atomique, que James Cameron sort Terminator. A l'unisson de son époque, il nous dit que la guerre atomique aura bien lieu et qu'elle sera le fait indirect de la course aux armements. L'Homme s'est fait piéger par les armes qu'il a lui même créées pour se défendre... Un scénario "classique" reprenant la défiance populaire à l'encontre du progrès scientifique et militaire et qui venait d'être illustré l'année précédente par le Wargames de John Badham. Le discours est simple, notre destin c'est la guerre et il est trop tard pour éviter la tragédie et c'est dans ce contexte "chaud" que Cameron va raconter son histoire. Un Terminator vient du futur pour éliminer la future mère du leader de la Résistance. Si elle meurt, les machines auront remodelé l'histoire et nous perdrons la guerre et si l'espoir de l'humanité réside dans cette victoire, il n'est pas question toutefois de pouvoir éviter la catastrophe atomique. Le Terminator est une machine qui ne rigole pas, "something that felt no pity, no pain, no fear, something unstoppable" nous disait alors l'affiche du film. Aussi inéluctable qu'est l'avancée du temps et ainsi notre rapprochement fatal vers la guerre, le Terminator piste sa proie et rien ne peut le stopper. Même complètement détruit, il rampe encore et encore vers sa cible. Un méchant incroyable, fascinant, dont la sobriété et l'abnégation sont d'une classe folle. Comparé aux autres "bad guys", celui ci dépouillé de tout ne conserve en lui que le mal à l'état brut, un colosse nu tel qu'il apparait devant la troupe de punks. Depuis 1984, quiconque s'est chamaillé avec son disque dur ou une carte mère connait l'effroyable inhumanité des machines... Si en plus son programme est de vous éxecuter, pas de dialogue possible, juste la fuite.

Quelques années plus tard, en 1991, Cameron dynamite la noirceur de son film en sortant sur les écrans une suite boursouflée à la cortizone, gonflée aux effets spéciaux. D'avantage évènement technique que révolution scénaristique le Terminator 2 avait été accueilli avec une certaine fraîcheur de la part de certains fans (dont votre serviteur faisait partie). A la fin du second opus le jugement dernier est évité, le jeune Connor est sauvé grâce à un T800 venu le sauver d'un T1000... Le futur n'est plus inéluctable, le destin nous appartient et l'avenir sera ce qu'on en fait. La morale confortable d'un film pour ado à la violence édulcorée et au rendu très familial. Terminator 2 c'est le remake du premier avec une morale rassurante pour le grand public : les machines ont désormais une raison pour être devenues méchantes (car elles n'ont fait que se défendre d'une tentative de déconnexion générale) mais au final le Terminator se sacrifie pour nous sauver et s'il s'est humanisé (en faisant des blagues en espagnol) c'est que au bout du compte nous aussi nous pouvons apprendre à redevenir humains, nous nous sauvrons de nous mêmes pom pom tralala...
J'ai toujours trouvé ce revirement douteux. Il niait l'esprit du premier et ce qu'il nous proposait à la place ne m'intéressait pas. Terminator baby sitter contre un Terminator liquide dans un affrontement surfriqué, à l'évidence c'était le début de la fin pour une franchise qui d'années en années continuera de revendiquer une mythologie tout en lui tournant le dos.
Suite tardive, le troisième fit le choix de la parodie morveuse du second et n'existait que pour le feu d'artifice final tant attendu...
En multipliant les terminators et en leur donnant des pouvoirs démesurés, les deux suites se retrouvaient écartelées entre les possibilités offertes sur le papier par ces nouvelles machines et par la nécessité de faire vivre le suspense. Grand écart impossible ruinant la suspension d'incrédulité... Combien de fois le T1000 aurait t'il pu tuer directement John Connor ? Pourquoi nous infliger des scènes où on le voit faire "non non" du doigt, là où le T800 du premier film éblouissait le spectateur dans sa volonté sans fioriture !? Place donc à un spectacle vain dont la représentation virtuose rend le spectateur confus, l'abandonnant à la vision joyeuse d'une pyrotechnie élaborée et laissant en chemin l'imaginaire qui formait le cocon d'une histoire puissante et cohérente. Ils ont tué le Terminator, comme ils tuèrent l'Alien, en le multipliant...

Mis en boite par le réalisateur de Drôles de Dames Joseph McGinty (dit McG, claaasse), Terminator Salvation est donc la troisième suite du chef d'oeuvre de Cameron, et, ce coup ci (c'est à la mode) on nous propose une sorte de reboot premier degré de l'histoire clairement élaboré en vue de nous servir une nouvelle trilogie... Et c'est finalement dans cette remise à plat que réside le seul vrai point positif de cette assourdissante purge. Sortir enfin du carcan scénaristique proposé par les trois premiers films était une idée séduisante pour le spectateur qui se titillait légitimement la nouille se demandant bien quel nouveau chemin un récit "original" allait-il pouvoir emprunter. Bien sûr, on pouvait se douter qu'il y avait de grandes chances pour qu'on le conduise directement et une fois de plus dans la fosse à purin, mais la mise en bouche proposée par la bande annonce avait réussi à exciter tout le monde, "si vous nous écoutez c'est que vous êtes la résistance"...
Si les toujours très professionnels faiseurs d'Hollywood arrivent généralement à sauver les apparences en produisant des films aseptisés comme des saucisses de celluloïde calibrées pour que rien ne dépasse dans les étals des Virgins du monde entier, il arrive pourtant qu'au pays du billet vert et de la machine à illusion tout foire et que tout parte en quenouille transformant un soufflet de 200 millions de dollars (50 fois plus que l'original) en gloubi boulga infâme et indigeste. Ici c'est bien simple la vulgarité intellectuelle des idées proposées n'a d'égale que l'incohérence totale de l'ensemble. Sans queue ni tête le résultat projeté à l'écran est si aberrant qu'on doute que quelqu'un ait pu voir le film avant que la copie n'ait été dupliquée. Comme si du technicien au réalisateur tout le monde s'était barré en week-end une fois le boulot torché, persuadé que quelqu'un d'autre s'occuperait de fermer les fenêtres et de couper le compteur.
Face à une telle tourte, les fans, prévisibles comme une fin de film PG13 remonté, volèrent prestement au secours de leur franchise préférée en mettant en avant d'une manière quasi pavlovienne le fait que Salvation a été amputé d'une trentaine de minutes. Evidemment, on se doute bien que ça ne doit pas arranger une narration confuse aux enjeux stupides et brouillons, mais je lance le pari que les 30 minutes de plus ne feront juste qu'épaissir encore plus la panade déjà bien beurrée qui nous a été servie... Espérer boucher les trous du script en voyant le film en version longue ça serait un peu comme bouffer une purée dégueulasse et espérer reconnaître le goût des patates en se bâfrant en plus les épluchures !
Les pieds dans la semoule et le nez dans les biftons McG réalise en regardant ailleurs, probablement satisfait de l'inertie de la machine hollywoodienne. Résultat c'est passé au dessus de la casserole, ça colle aux semelles et c'est tout moche. Celui qui a eu l'idée de désaturer l'image peut aller se pendre, il restera toujours le gaz pour celui qui a eu l'idée de foutre un filtre bleu là dessus !
Passée l'introduction dans laquelle McG s'est dégorgé le poireau avec un plan séquence pirouette à la Children of Men (en moins gracieux, moins intelligent et moins virtuose) sa mise en scène est aussi plate qu'une pizza sans garniture. Dépassé, fainéant ou tout simplement incapable, ce marmiton n'essaye jamais rien, n'arrive jamais nulle part et semble pas être capable d'autre chose que de remplir son film par des citations et des clins d'oeil. Chaque morceau de bravoure étant cuisiné avec divers morceaux empruntés ici et là... Connor devant la cité Skynet tel Frodon devant le Mordor ou le final copie conforme d'Alien3, ou de T2 je sais plus... Mais c'est lors de la scène la plus spectaculaire du film qu'on racle les fonds de casseroles de l'inspiration. En moins d'un quart d'heure on nous balance La Guerre des Mondes (Robot géant, pêche aux humains et bruitages ad hoc), Transformers (le robot géant et ses motobots) et Mad Max 2 (camion citerne, gamine et plans photocopiés) Alors je veux bien que le cru de Spielberg l'ait impressionné, qu'il ait voulu se mesurer au pâté numérique de Bay et que le troisième ait été goulûment cité par Cameron lui même comme influence mais bon, à ce niveau là "citation" s'écrit "plagiat". C'est étonnant de voir que du ciné US le plus dispendieux jusqu'aux prods françaises les plus cheapos, on ne fait que déglutir un cinéma digéré depuis des années... Avec un tel niveau de consanguinité j'entend déjà l'industrie du ciné US nous sortir son banjo pour nous jouer un p'tit air !
Au delà du déjà vu, ce qu'on a se mettre sous la dent est famélique, à l'image du décors désertique du film. Aride. La base des résistants ? Trois pauvres tentes et deux couloirs. (McG fera pourtant exploser des mines, une roquette dans un tunnel, des grenades et passera tout le décors aux alentours au napalm). Les villes détruites ? Une scènes ou deux dans une rue en ruine... (McG fera pourtant péter un immeuble entier, comme ça, gratuitement). Le reste est torché dans le désert. Les résistants du monde entier sont à l'écoute de la voix de Connor ? Un plan sur des gars dans une forêt en plastique... Roland Emmerich l'européen aurait filmé des chinois sur la muraille de Chine, des Africains dans le Sahara et des français avec des bérets devant une Tour Effeil en flammes. Mais McG est américain alors pour lui le monde connu s'étend sur une zone de 300 kilomètres autour de Los Angeles !

Fidèle à l'axiome qui veut que moins il y a d'idée, plus il y a d'explosions, tout ce que se contente de faire McG c'est de laisser ses potes du département pyrotechnique tout faire péter ! Les 200 millions de budget c'est essentiellement pour l'essence ! Tourné au Qatar le film n'aurait pas coûté plus cher qu'un Bruno Mattei... C'est bien simple, il y a plus d'explosions dans ce film que de lignes de dialogues dans un Woody Allen, mais il y a trois fois moins de morts que dans un prime de Plus Belle La Vie... C'est tellement assourdissant que le spectateur rendu sourd et complètement abruti par cette tonitruante bande son doit saucer ses neurones pour tenter de démêler un imbroglio scénaristique totalement loufoque siphonné par trop de paradoxes temporels et ruiné définitivement par les innombrables bourdes d'une paire de scénaristes absolument pas concernés par la choucroute (et déjà responsables entre autres de l'inénarable scénar de l'estomaquant Catwoman). Je mets au défi ceux qui ont vu le film de raconter l'histoire à leur entourage et d'observer les mines déconfites, hilares ou perplexes qui apparaîtront lorsque vous expliquerez que Marcus un condamné à mort se fait transformer en cyborg en 2010, il se réveille en 2018 mais le con calcule pas qu'il est une machine... il va rencontrer le futur père de Connor comme ça pouf pouf par hasard et puis finalement il ira rejoindre la résistance grâce à une copine de Connor qu'il rencontre aussi par hasard, ensuite Connor il veut le tuer parce que c'est un cyborg, mais la meuf elle sait qu'il a un coeur, parce que c'est comme ça, les filles c'est romantique elles sentent ce genre de truc. Connor c'est un chef qui a joué batman alors il fait sa grosse voix mais finalement le cyborg il lui dit que c'est les machines qui ont son futur papa, alors il part chez skynet à pied. Connor aussi il part là bas mais en moto, il arrive donc un peu après. Marcus papote avec la conscience de skynet, un peu comme quand ta clé usb et ton disque dur externe tapent le carton, mais finalement il se rebelle lorsqu'il apprend qu'il a été manipulé pour que les machines infiltrent la résistance afin de remonter le signal d'attaque pour détruire un sous marin, de rage, il enlève alors sa puce qu'il a dans le cul et choisit d'être un humain parce qu'il a un coeur tu vois (les machines elles en n'ont pas normalement). Connor arrive, vu qu'il est dans le repaire de Skynet qui l'a attiré pour le tuer il bute plein de terminators, un ou deux, puis tout le monde se sauve en faisant tout péter. Connor est presque mort heureusement car Marcus en a gros sur la patate parce qu'il a tué son frère et deux flics (son frère c'était pas assez, il fallait rajouter les deux flics... Dans la version pour le moyen orient j'imagine que Marcus a en plus mangé du jambon !). Il va ainsi pouvoir accomplir sa salvation en offrant son petit coeur (fracassé par un T800 la bobine précédente) à John Connor pour une transplantation dans une unité médic qui ressemble à l'infirmerie de la première saison de Deadwood...

Voila donc le fourre tout de Terminator 4 aux enjeux débiles et mille fois réchauffés, les mêmes histoires servies inlassablement avec à chaque fournée ses propres décors et ses propres personnages franchisés. Passionnant comme un pamplemousse sous vide air. Fascinant comme jouer avec M. Patate...
Dans cette soupe de caca, il ne faut pas s'étonner que les croûtons aient des goûts de chiottes. Mis à part les deux personnages principaux interprétés par deux bovidés, les autres personnages restent sur le bord de l'assiette. Michael Ironside vient cachetoner comme s'il faisait une courte apparition dans un obscur Z italien, Kate (Mme Connor) n'est là que pour servir les plats, pleurer sur deux scènes et faire sortir la punch line de Connor... A croire que son personnage n'est présent que pour un souci de continuité.
Les autres autour plombent le récit ou le rendent totalement hors sujet mais ils permettent une identification confortable pour toute la famille américaine. On retrouve donc les éternels "pote black" sympa mais à qui faut pas la faire forcément incarné par un rappeur, la bimbo cool à grosses loches un peu garçon manqué mais tellement romantique (Moon Bloodgood, tellement refaite à 33 ans qu'on dirait un CGI), la vieille dame bienveillante et pétrie de bon sens avec toujours un bon conseil vissé au coin du bec qui se retrouve à servir le thé à la fin de la bataille (Tante May, sors de ce film bordel !) et puis il y a la petite fille Noire, choupie comme tout, sage mais malicieuse, celle vers qui on se tourne à la fin en rigolant, pouce en l'air parce que c'est elle qui a le détonateur et dont le rôle se borne à nous reservir une version propre et bien élevée du Feral Kid de Mad Max 2...

Franchement, ceux et celles qui s'extasient devant ce film manufacturé comme une vache qui rit devraient se pencher sur l'écriture de ces personnages avant d'en vanter les mérites. Pour moi ils sont comme ces gens qui se déclarent "amateurs de fromage" mais qui te vantent la forme dynamique, la coque chatoyante et le goût fascinant du Babybel ! Au fond c'est parce que j'aime le fromage que je conchie ce Terminator Savonnette... Et que je conchie les inconscients comme moi qui tant qu'ils iront voir des bouses pareilles ne doivent pas s'étonner qu'elles soient produites !

Un petit épilogue pour résumer :
On a évité : Marcus lançant "hasta la vista baby" à l'ordinateur avant de le casser
On a pas évité : Guns'n'Roses
On a évité : Marcus avec des lunettes de soleil dans un bar avec Bad to the bone
On a pas évité : la gueule à Schwarzy
Mais on a évité de nous montrer sa bite (pour le coup le film est moins culotté que l'adaptation de Watchmen)