mardi 25 mai 2010

LEGION


Le cinéma américain, plus que tout autre, se nourrit d’idéologies qu’il porte ou révèle, tantôt miroir de la société, tantôt entreprise prosélyte. A l’instar des grands mythes fondateurs du pays de l’Oncle Sam (la frontière, la destinée manifeste) la superstition conditionne l’esprit dans lequel sont produits la plupart des films d’exploitation. De fait, certaines valeurs sont mises en avant et présentées comme sacrées. Aujourd’hui le « happy end » représente le moment où finalement la cellule familiale naturelle se réunie (vous savez, comme dans 2012)… Mais si le cinéma d’exploitation a consacré le militarisme et le patriotisme comme de véritables gimmicks, bien rares sont les films où la religion occupe frontalement le premier plan et conditionne tous les enjeux. C’est le cas de cette innommable Legion qui nous balance une séquelle très personnelle de la Bible et assène entre chaque scène de fusillade un tel moralisme qu’on a l’impression de passer 90 minutes à se faire engueuler par un membre de l’opus dei.
Comme tous les films américains traitant de problèmes philosophiques ou sociaux, Legion s’ouvre sur un psaume (ici un truc du genre « Ecoutez bande de têtards, moi je vais vous apprendre à flipper du Big Boss ») censé donner une certaine consistance à un script qui oscillera constamment entre un premier degré hilarant et la caricature pathétique de ses intentions. Ca fait donc un moment que Dieu est saoulé par l’Humanité, il décide d’envoyer son armée massacrer sa terrestre engeance. Sauf qu’un ange, Michel, décide d’aller contre Sa volonté. Déchu de son statut divin, il atterrit un soir à Los Angeles pour retrouver et protéger Charlie, une pauvre serveuse dont le polichinelle n’est autre que la réincarnation du Christ. Réunis dans un routier au milieu du désert, la serveuse et quelques brebis égarées vont faire face aux démons que Dieu déchaine pour détruire l’enfant. Tous ensembles, ils vont résister deux nuits avant que ne déboule l’Ange Gabriel décidé de remettre de l’ordre dans tout ça. Il échouera, l’Humanité a un nouveau sauveur pour guider les survivants du divin courroux.
Legion est le premier film de Scott Stewart, un responsable d’effets spéciaux dont la boite, The Orphanage, vient de couler. Avec son ancien associé, devenu pour le coup producteur, ils nous balancent un des films les plus rétrogrades et les plus culpabilisateurs qu’on ait pu voir depuis des années. Ils nous refont le coup du final évangéliste d’I am Legend comme s’ils nous remakaient la fameuse scène du Dernier Tango à Paris, mais sans la motte de beurre.
Ce qu’on peut déjà concéder au film c’est que dans ce pays de cocagne qu’est la France, lorsqu’un ange descend sur Terre pour sauver l’Humanité, c’est Mimi Mathy qui vient à la rescousse d’une pauvre mère isolée pour l’aider à remplir sa déclaration RSA. Aux Etats Unis, lorsqu’un ange descend sur Terre, c’est de fin des temps et d’extermination dont il s’agit, et à la place d’ une naine qui trottine dans un studio de la Plaine St Denis on a Paul Bettany (sorte de Pascal Greggory américain) qui défouraille des M16 dans le désert de Mojave. Ca a quand même un peu plus de gueule. Autour de Bettany, on retrouve quelques valeurs sûres de la série B comme Dennis Quaid (le Tuck Pendelton de L’Aventure Intérieure entre autres) qui surjoue son rôle comme si sa vie en dépendait, ou Charles Dutton (le Dillon d’Alien 3) encore une fois abonné au rôle du Noir qui, d’un regard lourd et grave, cite la Bible à tout bout de champ. Ces gueules sympathiques on beau tout tenter pour essayer de nous impliquer dans ce nanard, les dialogues mélodramatiques aux sentences définitives plombent le tout avec un tel sérieux qu’on rirait de bon cœur si on n’avait pas l’impression que le scénario avait été écrit par Pie IX. Au milieu de cette caractérisation à la truelle, Charles Dutton mérite tout de même un Oscar pour son air de chien battu au grand cœur, tellement crétin qu’on se croirait dans un mauvais Eastwood.
Reconnaissons également au film quelques qualités techniques. Certaine images ne sont vraiment pas dégueu et quelques unes, intriguantes, frappent justes. Un peu comme si un mécréant perdu dans l’équipe avait profité d’un dimanche matin pour shooter ces plans dans le dos des responsables, surement plus occupés à accomplir quelques génuflexions qu’à se demander comment filmer correctement ce qu’ils ont sur le papier. Le score de Frizzel est, quant à lui, honorable. On a notre lot d’envolées pompières quand il faut et quelques nappes à la Penderecki lorsque le spectateur doit flipper, ça ne marche pas mais le geste est là.
Le gros souci, c’est qu’une fois encore on a un réalisateur incompétent qui non seulement n’arrive pas à se sortir de sa position de fanboy vis-à-vis de ce qui l’a influencé, mais en plus le revendique à la moindre occasion. Scott Stewart veut que le spectateur reconnaisse l’ombre de Terminator derrière chaque plan, chaque dialogue. Legion emprunte donc à l’unique chef d’œuvre de Cameron son introduction avec l’apparition d’un type dans une rue de Los Angeles. Mais il pompe également le pitch (une serveuse qui se retrouve mère du messie est au centre d’une lutte qui la dépasse) et le final (bandana et route dans le désert compris). Si l’Archange Michel chourave à Reese sa plus célèbre punch line (« suis-moi si tu veux vivre »), Stewart a du se dire que l’Ange Gabriel regardant l’écran avec un air menaçant en sortant « I’ll be back » ça allait peut être faire beaucoup. Et ça, à ce niveau, c’est un peu mesquin… Mais Terminator n’est pas le seul classique à être pompé. Des êtres possédés ? Ah oui… comme ce que fait l’agent Smith de Matrix ! Michel vient prévenir la Vierge Charlie, il parle comme Neo dans Matrix 2 ! Une vieille possédée en veut au bébé ? Elle parle et courre partout comme dans les scènes coupées de L’Exorciste ! Des plaies bibliques s’abattent sur Terre, Stewart a déjà vu ça dans The Mist, L’Hérétique et La Momie !
Evidemment, avec un budget relativement faible, la fin des temps est plutôt cheap, se résumant à une panne de télé et à un essaim de mouches numériques. Pas génial. Alors quand il tourne son plan au Paradis, même si l’ensemble ressemble à un décor oublié de Stargate, il nous propose fièrement un ballet aérien d’anges exterminateurs en formation de combat. Dommage que ce plan ne serve que de bande annonce pour ce qu’on aurait aimé voir et qu’on ne verra jamais… Le spectacle d’anges qui se bourrinent les uns les autres à l’arme automatique c’était pourtant une bonne idée, sacrément bis et sacrément rigolote. Même si pour le réalisateur tout ceci est très sérieux, ce dernier déclare en interview que son pitch était tout à fait crédible. Aussi crédible que s’il avait fait un film sur une inondation géante. Et on dirait même que ça l’excite : « Quand vous regardez les débuts de l’art religieux, vous retrouvez l’Archange Michel avec une épée et une armure, vous vous dites que c’est cool et vous vous demandez qu’elle en serait la version moderne ? Des fusils mitrailleurs et des lances roquettes, avec certainement des minutions illimitées. » Cool, non ?
Alors qu’est ce que ce type a dans la tête ? On peut sérieusement se le demander lorsqu’on voit l’ange Gabriel, censé représenter la fureur de Dieu (Gabriel signifiant « Dieu est ma Force », un sorte de concept entre Ophélie Winter et George Lucas j’imagine), passer la porte du restaurant dans un contre jour élaboré à la truelle et dans une légère contre plongée censée signifier sa puissance … Comment un film qui déroule un propos mystique si réactionnaire se retrouve avec comme bras armé de Dieu, une espèce de type metrosexuel habillé comme s’il faisait l’andouille sur un char de la Gay Pride !? Exhibant en plus entre ses mains fermes son instrument de puissance : une masse d’arme turgescente… Décidemment, chez Stewart, Dieu semble façonner son monde comme un réal italien une série Z.
Déjà bien fauché, le film doit également composer avec une narration complètement foutraque d’accumuler les incohérences, car s’il y ’a bien une légion dans le film, c’est celle des âneries et des invraisemblances. Mais ce ne sont pas vraiment les raisons qui font de cette merde une horreur tellement détestable. Qu’un bébé pas attaché survive à un accident et trois tonneaux, c’est pas bien grave (de toutes façons la voiture est là pour le bonheur de l’Humanité, elle ne peut pas nous faire du mal), en tous cas pas plus que de voir une mère enceinte prête à mettre bas tirer à l’arme automatique ! Que les anges ne pensent pas à posséder les proches de la mère du Messie, pourquoi pas, de toutes façons quand on est habillé comme un figurant des Guerriers du Bronx, on a intérêt à rester un peu à l’écart… Par contre, ce qui ne reste pas à l’écart, c’est bien la bondieuserie abominable du propos.
Lors d’un film de siège, la caractérisation des personnages doit nous aider à nous identifier avec eux, et si l’on commence à vouloir les voir vivre devant nous, c’est que nous tremblerons de plus belle lorsqu’ils seront submergés par la menace qui rode. Ici, chaque personnage porte sa croix et chacun retrouvera la voie dans l’épreuve. La famille de la ville avec le père, la mère et la gothique sera peut être décimée, mais au final la fille comprendra qu’elle a fait souffrir ses parents et qu’elle ne devrait pas porter des jupes si provocantes. Avant le destin funeste qui l’emportera elle saura faire amende honorable. Le bad boy de Las Vegas est sur le sentier de la violence, mais c’est parce qu’il s’est égaré. Le bon Noir bienveillant et pieux saura le mettre sur le chemin de la rédemption et s’il arpentait le mauvais chemin, c’est parce que son ex femme ne voulait pas qu’il parle à sa petite fille. Sans famille l’Homme n’est rien nous dit on. C’est également ce qu’apprendra le personnage de Dennis Quaid, dont l’entêtement a fait voler en éclat son couple. Il n’a pas la foi mais devant l’évidence et grâce au chant du M16, il se repentira et reviendra sur ses erreurs avant de mourir, libérant ainsi son fils qui luttait seul pour recréer une cellule familiale, alors qu’il était rejeté de tous. C’est le benêt du film alors, bien sûr, il survivra. Et la mère du messie ? Lorsque le film débute, elle aussi est perdue, elle refuse son rôle de mère et pire que tout, elle fume ! C’est parce qu’une fois encore sa famille a volé en éclat le jour où son père a quitté le foyer… Mais Michel sait parler aux femmes et elle qui vivait dans la négation (« Je ne suis rien, juste une serveuse, je n’ai même pas de voiture (sic) ») va finir par s’accepter. Elle va apprendre à devenir mère et comprendra que fumer c’est mal et que l’avortement serait le pire des pêchés, car même si ta situation c’est de la merde, qui es tu pour te mesurer aux desseins du Tout Puissant ?! Même une gourde qui n’a pas son permis peut enfanter, et ça, c’est sacré. Le père, lui, n’existe pas, c’est un mystère, alors s’est elle faite engrosser par l’Esprit Saint. les auteurs du film restent discret sur cette histoire, dommage on aurait aimé voir la scène… Bref, lorsque le spectateur se rend compte qu’on est le jour de Noël, elle dépote son messie en moins de deux minutes, sans douleur et avec le sourire du devoir accompli. Elle est prête à aller retrouver les prophètes de chaque religion qui l’attendent pour reconstruire un nouveau monde dévasté. Le film ne s’attarde bien sûr pas sur la vulgaire populace… Manque de moyens ? Oui sûrement, mais surtout parce que le film n’a que faire du ramassis de clochards dégénérés que l’on aperçoit au début du film. Le flic facho qui souhaitait que toute cette saloperie disparaisse aura, in fine, été entendu. Amen.
Reste le personnage qui s’est déchu pour l’amour de l’Humanité (en fait y’a un twist foireux et un Deus Ex Machina qui porte bien son nom mais je vous en fais grâce) : Michel l’archange. Bien qu’ayant grandi avec une foultidude de nanards yankees voulus et créés pour et par des hordes de cul bénis, j’avoue ma profonde inculture sur les différents anecdotes que ressassent les quelques grandes superstitions qui dirigent le monde. Alors pour creuser un peu le sujet, j’ai fait un tour sur la page wiki de Mike. Et là je suis tombé des nues, si j’ose dire. Le gars est un gros poisson, pas une petite sardine à mettre en boite, non, c’est carrément une huile dans l’Evangile. On apprend qu’il est « le chef de la milice angélique », avouez que ça pète. Le reste est ubuesque, on y lit qu’il est également « Archange du premier rayon », une véritable tête de gondole quoi. « Chef des forces du ciel », « chef des armées célestes » sont encore des titres dont on affuble Michel. En fait la Bible a du être écrite à son époque par une sorte de Roland Emmerich local, on y retrouve les mêmes obsessions… La conclusion de la page wiki finit de verser dans l’absurde le plus total, il est carrément de tous les coups : Jeanne d’Arc, il était là, David et Goliath, c’est lui qui a pistonné le petit frondeur, la main retenue d’Abraham, c’est encore lui ! Sarah Connor ? C’est lui aussi ! Mais surtout c’est Michel qui a remporté le plus grand main event jamais organisé : la lutte contre Satan. D’après l’Eglise, Michel est le « Champion du bien », sorte de ceinture toutes catégories ultime !
Alors même si ce film prend parfois la forme d’une série B potache dont on peut se délecter au second degré, toutes les intentions contenues là dedans véhiculent une morale de merde. Même si bien sûr de ce côté ci de l’Atlantique personne ne croira à cette histoire, au premier degré… L’accumulation des valeurs portées, fait l’écho des hantises immondes des groupes politiques les plus réactionnaires. Du vrai cinéma d’extrême droite quoi.