jeudi 9 avril 2009

VINYAN


La production française a décidemment un gros problème avec le cinéma fantastique et d’horreur. Après le gros échec de la boite de production Bee Movies qui lança entre 2001 et 2002 le molasson Jeu d’enfant, le navrant Bloody Mallory et l’agréable Maléfique, on vit débouler sur nos écrans des films foutraques tentant le grand écart consistant à séduire à la fois les fans du genre par l’intermédiaire d’une très onaniste générosité et à la fois un grand public qui pourrait se laisser tenter par une réponse hexagonale aux productions yankees.
Produits dans la douleur et à peu de frais par des réalisateurs "nouvelle génération" qui nous disent que l'existence même de ces films tient du miracle, ils se sont bien vite mis à couiner à qui voulait l’entendre qu’ils étaient forcément victimes d’une censure qui ne veut pas dire son nom, d’un dédain bourgeois de l’establishment et du refus des distributeurs de laisser exister leurs films dans un circuit de salles convenables. Sans se douter que si leurs films sont boudés du public c’est peut être aussi parce qu’ils sont incroyablement mauvais, référencés à mort et sans aucune proposition intéressante. Leurs histoires tentent des resucées qu’ils espèrent correctes de ce qu’on voit depuis déjà 35 ans.
C’est malheureux mais depuis quelques années, être fan de film d’horreur en France (je laisse le terme geek aux gamins de 14 ans, ça les amuse) c’est carrément un acte de foi, une sorte de passion pentecôtiste où il semble qu’il faille se faire humilier et frapper par l’objet même de son adoration. Les messages dithyrambiques qui s’alignent dans les forums à propos des films de Snyder ou Laugier ressemblent pour moi à ces processions d’illuminés qui parcourent des kilomètres en se fouettant le dos. Le sourire béat vissé sur leurs faces ébahies ainsi que le style passionnel de leurs témoignages gravés dans la roche du 2.0 nous montre qu’ils ont abdiqué toute rationalité et rappellent aux yeux des incrédules qu’un croyant est prêt à gober n’importe quoi, tant qu’il a la Foi. Catalysés par les trompettes de l’autocélébration d’une presse spécialisée, ils se couchent devant les prophétiques sentences qui s’étalent chaque mois en couverture de Mad Movies ! A l’intérieur : Traumatisme de l’année 2007 (n°197). Martyrs : L’électrochoc du cinéma français (n°210). Vinyan : L’expérience ultime (n°211).
Hérétique que je suis, après avoir été banni du forum Mad Movies me voilà condamné à errer comme un paria, fouinant les salles obscures pour y trouver une nouvelle victime sur qui cracher les molards de ma gluante arrogance censés irriguer les coliques de mon impuissance dans laquelle se dépose le limon immonde de ma frustration. C’est donc sur Vinyan que ma carcasse suintante de haine jeta son dévolu l’autre soir. Loupé en salle, c’est sur le dvd de cette (nouvelle) expérience (forcément) ultime que je poserai l’œil torve de mon mépris. Du cloaque repoussant qui sert de niche au chien d’infidèle que je suis, je sais bien que Calvaire, le premier film de Fabrice du Welz, avait des atouts indéniables, et même si je n’avais pas vraiment aimé le film, j’avoue avoir été séduit par des acteurs intéressants et surtout par la sublime photo du chef opérateur Benoît Debie. Hélas, loin de concrétiser son premier essai Fabrice Du Welz a réajusté le tir pour faire feu à l’unisson de la médiocrité ambiante… Se défendant probablement de faire partie de la même engeance en portant un regard très sérieux sur son cinéma, il ne fait que nous rendre sympathique la joyeuse nullité potache de ses camarades.
Vu que j’ai quelques lignes devant moi, et que c’est plus qu’il n’en faut, résumons l’intrigue.
Janet et Paul ont perdu leur fils dans le tsunami du côté de Phuket et n'ont pu se résoudre à quitter la Thaïlande, Janet n'acceptant pas l'idée du deuil. Un soir elle croit le reconnaître dans un reportage vidéo sur les orphelinats birmans. Elle persuade alors son mari qu’il faut partir à sa recherche. Ils s'en vont donc avec un passeur mafieux sur la mer birmane et se perdent dans la jungle. Au fur et à mesure que Janet sombre dans la folie, des gamins boueux déboulent de toutes parts, sorte de portée cauchemardesque de la mère multipliant son fils à l’infini et qui finira par tuer le père coupable à ses yeux d’avoir abandonné leur enfant. La dernière image c’est les bambins tout crottés qui pelotent Janet, en transe et à moitié à poil.
Du Welz aurait eu du cran, on les aurait vu téter les mamelles d’Emmanuel Béart mais le spectateur restera déçu d’être devant un film de Du Welz, et non devant un film de Cronenberg, ou de Mattei…
Alors si Laugier avait au moins fait l’effort de recopier une définition de 4 lignes trouvée sur wikipedia pour écrire le scénario de sa leçon de philo pour gamin de 12 ans (Martyrs), Du Welz lui ne va même pas faire semblant d’écrire un script et limite ses dialogues à 2 lignes pour Béart et une pour Sewell :
-C’est Joshua (Béart)
-Non c’est pas lui (Sewell)
-Tu l’as laissé partir (Béart) (à répéter ad lib)
Alors bon, c’est sûr que c’est un peu court pour caractériser des personnages, mais, nous dit-il à longueur d’interview, ce n’est pas ça qui l’intéresse, ce qui le passionne c’est d’expérimenter. Ex-pé-ri-men-ter. « Ce qui m’intéresse le plus dans le cinéma c’est le style des réalisateurs, et j’essaie d’en avoir au maximum » se justifie t’il pour préférer se regarder filmer plutôt que de prendre le temps de nous raconter une histoire. Parce qu’avec un script inexistant aux enjeux totalement évidents et sans ambiguïté, Du Welz n’a comme excuse pour enfiler ses tentatives formelles, qu’une vaine déambulation. Ca ne semble pas le freiner et ses « expérimentations » se succèdent stérilement pendant une longue heure et demie, nous secouant nerveusement chaque idée comme un hochet pour être bien sûr que le spectateur a bien saisi à quel point il avait du style. Il voudrait avoir la classe mais ça n’est qu’agaçant, un peu comme un morveux qui vous tire la veste pour vous montrer ce qu’il sait faire avec son nouveau jouet. Couper le son lorsque Béart met la tête sous l’eau puis le remettre lorsqu’elle la ressort c’est marrant, mais au bout d’un moment ça devient un peu appuyé, puis redondant et finalement complètement idiot car totalement vain. On peut penser au gag « jour/nuit » des Visiteurs, ou à celui des poulets dans OSS 117. Une superbe expérimentation qui ferait surement rire Jacquouille la fripouille ! Je vous rappelle que c’est pour ce genre d'astuces que Du Welz semble penser n’avoir pas besoin de scénario. Comme il le dit lui-même « mes choix de mise en scène je les ai faits de manière radicale », et capricieuse ajoute le spectateur…
Parce qu’ici, du fond de notre trou, on a plutôt l’impression de voir un réalisateur qui se la pète mais qui n’a rien à dire, et qui a la prétention de croire que son « style » fera la différence en créant un sens à une histoire rabâchée.
Le début du film est à ce titre éloquent : après avoir bazardé les scènes d’exposition sans laisser le temps au spectateur de se familiariser avec le couple endeuillé, Du Welz préfère nous noyer dans une longue scène éprouvante dans les bas fonds de Phuket citant explicitement Noé avec gros plan sur masturbation et détour systématique sur toutes les poitrines qui passent dans le champ de la caméra. Ça se veut immersif et provoquant, c’est juste d’une effroyable vulgarité. Une vision de beauf de la Thaïlande… Évidemment tout le monde a compris que Béart à la recherche de son passeur cite la quête du Ténia dans la boite de nuit d’Irréversible, mais appeler « expérience » une redite formelle déjà vu chez un autre réalisateur qui a le même chef op’ c’est un peu se foutre de la gueule du monde. Ici on est loin du talent de Noé puisque chez ce dernier les acteurs sont dirigés, ils brillent au sein d’une mise en scène élaborée. Du Welz, lui, semble se contrefoutre de diriger quoique ce soit et qui que ce soit faisant tomber à plat ses scènes censées être « chocs ». Que ce soit les masques en caoutchouc des gamins lors du cauchemar, les enfants qui rient ou la vieille qui flippe, on est à chaque fois loin de l’inquiétante étrangeté voulue. On est plutôt dans la redondance d’effets évidents et déjà vus qui choquent juste par l’amateurisme évident de protagonistes tentant de faire transparaître des émotions avec une finesse toute pornographique.
Avec tout ça à l’écran, il ne faut pas s’étonner qu’on pouffe devant le final où des gamins prenant la pose dans un placement très esthétique, donc évidemment artificiel, viennent éviscérer le père dans une scène inutilement outrancière donc ridicule.
A un moment le fils défunt apparaît à son père pendant son sommeil, le père se lève et l’enfant fuit, alors le père se lève pour le suivre mais l’enfant ne s’arrête pas de fuir… C’est tellement évident, tellement vu et revu qu’on pensait ce genre de scène désormais réservées aux sitcoms ou aux parodies. C’est odieux de faire jouer ça à des acteurs, c’est indigne de le proposer à des spectateurs.
Au milieu de tout ça, la descente aux enfers du couple ne subit aucune évolution, juste une impression que ce dernier avance de temps en temps lorsque le film s’y intéresse, même si c’est pour tourner en rond. Le chemin morbide d’Aguirre ou la déshumanisation de Willard dans Apocalypse Now existent au travers de personnages forts, évoluant dans un univers oppressant. Ici le seul chemin parcouru c’est celui du spectateur qui s’éloigne petit à petit de protagonistes dont il n’a jamais partagé le chagrin. Rufus Sewell tente ce qu’il peut et il a beau y croire, il n’a pas grand-chose pour sauver son rôle. Emmanuelle Béart, elle, transforme son personnage en une folle hystérique et son jeu en roue libre n’arrive à sortir le spectateur de l’ennui que pour l’horripiler. Les autres protagonistes sont laissés en cours de route sans qu’ils n’aient servi à quoi que ce soit si ce n’est mettre quelques croûtons dans le bouillon marécageux d’un script bâclé.
Il reste le décor : la Thaïlande. Et si Du Welz ne jette pas un œil très intéressé sur ses habitants (mis à par sur les formes avantageuses des putes de Phuket), il n’a pas l’air pour autant de s’intéresser à la nature, au-delà de quelques plans carte postale. L’oppression progressive de la jungle comme expression de l’isolement psychologique des deux personnages et la descente d’un fleuve comme métaphore de la perte d’humanité et d’entrée dans un nouveau monde onirique, tout ça semble évident mais reste au seuil d’un traitement digne de ce nom, à l’instar du sur-place psychologique des protagonistes.
Le tsunami n’est qu’une excuse scénaristique bidon n’existant que comme prétexte initial. Pourtant le traumatisme d’un couple au travers du traumatisme d’un pays ravagé semblait pouvoir faire un film fort, il n’en est rien. C’est bien beau de se trouver « radical », mais sans rigueur au niveau de l’écriture c’est le désastre artistique complet, et en allant plus loin en lisant les déclarations satisfaites de Du Welz c’est un naufrage détestable.
Ceci dit Du Welz est content d’avoir pu tourner en Thaïlande, parce qu’au moins là bas tu peux filmer des enfants placés « à plusieurs mètres du sol dans les arbres, des choses inconcevables en France. Là bas, tu peux travailler quinze heures durant avec des gamins dans la jungle sans être emmerdé » dit il à Mad Movies qui salue là « une franche liberté permettant à Du Welz et son équipe d’avancer tels des guérilleros du cinoche »… Sans commentaire.
Vinyan ? Un vrai calvaire.