samedi 30 avril 2011

WORLD INVASION : BATTLE LOS ANGELES


Les invasions aliens d’outre espace et les super héros qui défendent le cœur de l’Amérique sont décidemment les divertissements à la mode de ces dernières années… Ainsi chaque semaine se déversent les projections culturelles des crises propres aux époques troublées. Des multiplexes où s’écoule l’huile du popcorn industriel aux bacs à dvds soldés dans lesquels s’entassent les pâles imitations fauchées des dispendieuses merdes des studios, l’Amérique a un message : Elle est en danger. Un message dramatique qui tourne en boucle et qui s’adresse à la planète mais qui s’échoue lamentablement devant les yeux blasés des amateurs de maïs soufflé et des ménagères égarées du monde entier. On dirait un peu ces phoques piteux qu’on voit entassés sur ces hostiles plages du Nord, couvertes de galets, et qui observent ahuris ce que l’océan leur rejette, jour après jour.

A Hollywood, on s’échine à faire briller un cinéma qu’on aurait aimé croire archaïque ou du moins démodé. Un cinéma galvanisant. Un cinéma fait pour le moral des troupes qui se battent et pour celui des mamans qui votent. Un cinéma qui doit rendre l’armée glamour et qui repose sur des sentiments nobles, comme le sacrifice, l’héroïsme et la patrie, un cinéma qui célèbre la famille et son besoin de sécurité. Un cinéma de l’honneur et de la fidélité, un cinéma du rétablissement de l’ordre. Un cinéma qui te donne envie de montrer tes papiers et de baisser les yeux. Un cinéma qui a des valeurs et qui te prend pour une merde.
Et à Hollywood, nombreux sont les candidats prêts à investir et miser sur le tragique. Le système et les bureaux de liaisons entre les Studios et le Pentagone trouvent toujours des laquais dont l’échine est assez courbée pour leur permettre de tartiner à genoux leurs biscottes de propagande.
Aujourd'hui, c’est Jonathan Liebesman qui accède au poste de wannabe Emmerich. Liebesman, c’est un réalisateur d’une trentaine d’années qui, de concert avec quelques autres réals de sa génération, ont décidé de chier de concert sur l’héritage qu’ils déclarent vénérer. Réalisateur fossoyeur du prequel du remake de Massacre à la tronçonneuse, Liebesman a enfin gagné le droit d’aller jouer à la guerre aux commandes d’un blockbuster triomphant, véhicule des valeurs positives d’une Amérique qui se cherche une unité par la noblesse d’une cause et la justesse d’un combat fédérateur. Comme un camé tout glaireux qui replanterait inlassablement sa seringue dans son bras en espérant faire du fantasme d’un ancien bonheur fugace, passé depuis longtemps, une réalité, l’Amérique semble passer son temps à s’auto flageller dans le spectacle sans cesse renouvelé de sa destruction pour avoir le plaisir pervers de se repaitre de son obsession d’unité patriotique. On cherche à revivre la communion nationale des autocélébrations post 11/09, ad nauseam.

Ce coup ci, des aliens débarquent sur la côte Ouest et attention, pas de méprise, le titre World Invasion Battle : Los Angeles n’a rien à voir avec le vieux groupe funk altermondialiste Rage contre la Machine. Il s’agit ici d’une référence à un célèbre incident survenu en 1942 à Los Angeles et dont s’inspire le 1941 de Milius et Spielberg. Le caractère franchement génocidaire de cette armée alien, couplé à une réalisation au plus prêt des troufions façon Soldat Ryan finit de donner une ambiance très « WW2 » au film jusque dans la résurrection du fantasme d’une attaque japonaise frappant L.A…. World Battle Invasion Los Angeles, c’est Pearl Harbour 2. La cause est juste, la guerre est juste, les enjeux sont simples, la Nation doit être protégée. Au-delà de singer maladroitement le cinéma de guerre des années 60, le film de Liebesman développe son ambiance militaire au travers d’images aux références visuelles nettement plus modernes. La réalisation dont la grammaire s’arrête au pénible effet « caméra à l’épaule » provoque une image chaotique et de nombreux hors champs censés reproduire la représentation de la réalité offerte par les films tournés par les soldats eux-mêmes lors des conflits récents. Ainsi Liebesman déclare s’être inspiré des combats à Fallujah pour le style de son film. Du Soldat Ryan à Black Hawk Down, en passant par la puissance iconique des images amateurs, World Los Angeles Battle Invasion réutilise un langage visuel, non pour l’interroger, mais seulement pour convoquer sa dramaturgie, cherchant à provoquer un reflexe quasi pavlovien d’empathie. La guerre finalement, est-elle devenue autre chose que le laboratoire de ses futures représentations ? Les conflits passent, les films restent. Aujourd’hui si l’on pense au débarquement, difficile d’imaginer autre chose que Mitchum et Fonda papotant sur une plage, le conflit vietnamien ressemble à une grosse partouze où il était question de surf et de napalm… La représentation fictive remplace la réalité. La guerre aujourd’hui se mène également sur le terrain imaginaire.

Mais mélanger ainsi l’idée de la dernière guerre « juste » (et surtout gagnée) aux images de combats contemporains provenant de conflits aux issus et aux enjeux plus que discutables provoque forcément un certain malaise par l’évidence et la balourdise du procédé. A aucun moment le choix de la réalisation ne semble suivre autre chose qu’une posture maladroite dans son sérieux et déplacée dans son premier degré. La Guerre des Mondes filmait l’invasion à hauteur d’homme, W.I.B.L.A. la filme au cœur d’une escouade perdue derrière les lignes ennemies dans la confusion et l’urgence. Mission amplement loupée si l’on considère qu’une scène à la réalisation confuse ne rend pas forcément justice à la confusion produite par une situation de combat. Le n’importe quoi intégral dans lequel s’épanche l’a peu prêt d’une mise en scène envisagée au petit bonheur la chance oblige cette grosse tanche de Liebesman à quitter son postulat en faisant régulièrement passer quelques plans d’ensemble pour essayer de redonner au spectateur une idée de la situation sur le terrain…
Qu’il foire ses scènes d’action parce que ça va trop vite et que la configuration des combats est particulièrement complexe (des types cachés derrière des voitures sur une autoroute tirent sur des robots de l’espace qui arrivent en face d’eux), on peut comprendre. La filmographie de Liebesman, s’il est clair qu’elle ne nous pousse pas à l’indulgence, nous aura au moins évité d’être surpris par la nullité de son nouveau film.
Parce qu’il faut voir ces scènes d’intérieur où des types devisent tranquillement en étant filmés par un caméraman éméché qu’on imagine facilement titubant en tentant désespérément de faire le point sur sa caméra alors qu’il n’arrive pas à cadrer quoique ce soit. Soyons sport et reconnaissons que la démarche peut paraître audacieuse, du moins sur le papier. Filmer des acteurs défoncés, on avait déjà vu ça, alors aujourd'hui, c’est le caméraman qui est sous acide et qui filme des acteurs sous prozac. C’est notre époque et j’admets qu’il n’est pas désagréable d’avoir la sensation d’être subitement défoncé à l’eau écarlate dès que deux personnages s’échangent les banalités consternantes écrites par un scénariste débutant dont on doute fortement de la pertinence de son orientation professionnelle récente et dont je tairais le nom par charité.

Influencées par l’industrie vidéoludique, FPS en tête (on a souvent l’impression de jouer à Call Of Duty quand ça lagge) les scènes de combat constituent le corps du film et se doivent, époque oblige, d’être âpres, tendues et éprouvantes. Surtout éprouvantes en fait, et elles le sont. Aucun doute à ce sujet. Elles me rappellent même ces images fugaces noyées dans le vacarme assourdissant de ces après midi de mon enfance lorsque je me tortillais sur le canapé, tentant vainement de regarder Goldorak à la télé alors que ma mère passait l’aspirateur dans le salon.

A quoi ça sert de vouloir jouer la carte du « réalisme » lorsqu’on écrit un scénario et des dialogues qui mettent en scènes des militaires aussi peu crédibles. Je veux bien que la suspension d’incrédulité et notre soif de situations héroïques poignantes nous font parfois accepter des tirades un chouia plus lyriques que ce qu’elles devraient être, mais là c’est même pas ça. Ils racontent n’importe quoi, n’importe comment et ce, n’importe quand. C’est pas un film, c’est une répétition générale où les personnages déclament des dialogues en yaourt. On n’a même pas l’impression qu’ils sont américains, on dirait qu’ils font tous semblant. Le casting fait ce qu’il peut (j’ai noté : courir parfois, crier de temps en temps et secouer leurs fusils en disant des trucs rigolos) mais la présence de Michelle Rodriguez - dont la prestation ubuesque rappelle son travail sur Avatar – finit de décourager toutes les velléités d’implication des spectateurs les plus motivés.
Au-delà du delirium tremens du cadreur et de ses enjeux rigolos, Liebesman échoue lamentablement à insuffler le moindre lyrisme à son film tout pourri, il n’a visiblement pas compris l’essence même de cette notion, ne sachant visiblement pas qu’un hélicoptère américain ne décolle ou n’atterrit que si le soleil est bas dans l’horizon… Pétri d’une incompétence à la banalité fatigante, il est encore bien loin d’avoir la classe de Roland Emmerich dans l’art subtil de tricoter avec application des films débiles à la bêtise exemplaire, et je ne parle même pas de le comparer à la démarche crypto punk de Michael Bay, le Kandinsky du blockbuster ! Mais surtout, comble du ridicule, le vilain canard W.A.B.L.I. se paie également le luxe d’ être à la remorque du pourtant très cheapos et surtout très nul Skyline. Contrairement au film de Liebesman à l’échec d’une vulgarité moins amusante que franchement embarrassante, Skyline avait au moins pour lui ce petit côté amateur rive gauche livré dans son ambiance existentielle causy dans laquelle des personnages issus de sitcoms devaient se confronter à l’irruption de monstres mécaniques avides de leur énergie. Filmé de manière détendue, le drame intimiste se télescopait à la violence d’un monde en perdition, faisant éclater le champ du loft et projetant ses protagonistes hors du cadre. C’était nul, mais au moins ça l’était honnêtement.
Les raisons de cette déroute artistique sont évidemment à mettre au crédit de prises de vues bâclées, mais également au renoncement total à servir le génie militaire que glorifiaient les influences évidentes de ce minable rejeton qu’est Los Angeles Invasion Battle World… Alors que les militaristes célèbres comme Milius prenaient toujours soin de montrer tout l’art de la guerre dans ses réussites et ses défaites, son horreur et son humanité mais surtout dans l’exaltation de ses tactiques et de ses gestes (Conan, L’adieu au Roi, La rose et le lion), le film de Liebesman présente des engagements simplistes dans une opération sans enjeu. Les marines comprennent tout, très vite, et rien n’est trop compliqué pour eux. Et s’ils parviennent systématiquement à savoir ce qu’il faut faire, c’est bien parce que tout est absolument linéaire et que les aliens se battent comme des truffes, obligés par un script complice de laisser le bâtiment le plus important de leur flotte sous la surveillance molle de quelques rushs abandonnés de Terminator 4 pour que l’armée américaine puisse avoir l’air de triompher héroïquement.
Pire, lorsqu’on aperçoit finalement les aliens je n’ai pu m’empêcher de penser que L.A. était attaqué par des Toons dans ce qui me semblait devenir une caricature absurde du film que je pensais voir. A mon avis, s’il faut maintenant que l’armée US se batte contre des pokémons pour qu’on doive la prendre au sérieux, c’est qu’on nage en pleine décadence !
Les intentions pachydermiques de l’auteur de cette merde ont beau être claires, passé le premier quart d’heure il devient cependant ridicule de prendre la posture et de jouer l’outré devant un tel étalage de conneries réactionnaires. Ce n’est évidemment pas étonnant et vous ne me trouverez pas ici à fustiger le patriotisme insoutenable et le militarisme galopant d’une oeuvre pensée comme un véhicule publicitaire de 70 millions de dollars pour le corps des Marines. Les clichés les plus éculés (le microcosme ethniquement varié et dont les préoccupations tournent toutes autour de la famille - un frère tué, un enfant qui va naitre, une femme à épouser, un père et son fils…) ne s’enfilent pas sur la structure du récit, ils sont le récit. Dans ce contexte, l’issue du combat et la rédemption du héros sont une telle évidence que seuls les pensionnaires d’un hospice spécialisé dans le traitement d’Alzheimer auront l’indulgente complicité d’y voir là le moindre enjeu.
Parce que ce qui me choque dans le film de Liebesman, c’est pas vraiment ses intentions, aussi débiles soient elles, c’est le talent déployé pour les servir. Louez votre bravoure, pignolez vous sur votre drapeau, excitez la testostérone et flattez l’instinct maternel autant que vous voulez, vos âneries trouveront toujours des clients, mais faites le avec panache que diable. A quoi bon porter au pinacle une palanquée de valeurs morbides si c’est pour les traiter par-dessus la jambe ? Après Saigon, Mogadiscio, Bagdad et Kaboul, Hollywood semble devenir le nouveau bourbier de l’armée américaine réduite à flinguer des pokemons dans un blockbuster tourné de manière aussi rigoureuse qu’un boulard gonzo ! Dans sa volonté à vouloir refaire à l’endroit ce que Starship Troopers avait fait à l’envers, le film de Liebesman convoque la gravité de l’engagement des troupes américaines dans un film qui finit sa course comme un World America Team Police sans gag.