dimanche 25 avril 2010

LA HORDE


En France, depuis quelques années, une armée de trentenaires dont l’enfance épongea la contre culture américaine s’échine à produire des films d’horreur. Alors qu’aujourd’hui cette culture est devenue dominante, les réalisateurs de cette nouvelle vague se plaignent un peu partout d’ostracisme, ils fustigent l’attitude des distributeurs, condamnent la censure du système et maudissent l’indifférence du public… Jusqu’ici, peu de ces films avaient bénéficié d’une aussi grande attente et d’une promotion aussi large que La Horde, produite et réalisée par la première ligne de défense de cet autre cinéma français.(1)

Avant de devenir le commentateur thuriféraire du bis hexagonal, Yannick Dahan était un vrai critique, passionné et sympathique. Sa gouaille fleurie officia d’abord par écrit (dans le regretté Mad Movies, puis dans les magazines Positif et DVD Vision) puis par la suite sur le câble dans sa mythique émission Opération Frisson. Durant des années, son accent toulousain a fustigé avec pertinence et bonne humeur le cynisme des costards cravates qui vendent les films comme de vulgaires bidons de lessive, tout en questionnant les thématiques qui nous interrogent sur la condition humaine en tirant la substantifique moelle de ces films funs, jouissifs et décomplexés qui émoustillent tant les outres bourrées à la bière que nous sommes ! Produit par son futur coréalisateur Benjamin Rocher, l’émission est devenue culte pour sa défense d’un certain cinéma jadis marginalisé qui se voit aujourd’hui reconsidéré comme un genre adulte et intelligent.
Bien évidemment le copinage fait qu’après avoir éreinté sans pitié 300 ou le dernier Roland Emmerich dans de bondissantes et joyeuses chroniques, il a eu plutôt tendance à se tortiller lorsqu’il dut évoquer les films de ses potes, tentant par exemple de justifier maladroitement la sincérité apparente d’un projet certes bancal mais dont la substantifique moelle blablabla … d’un Frontière(S) dans lequel il avait fait de la figuration.
A force de voir passer leurs potes derrière la caméra, ça a du les démanger Dahan et Rocher. Ils ont du se dire qu’ils pouvaient faire pareil, ils avaient une boîte de prod et suffisamment de contacts pour tenter le coup. Et quoi ? Franchement faire moins con que Frontière(S), moins Z qu’A l’intérieur, moins prétentieux que Vinyan ou moins ridicule que Martyrs, ça pouvait sembler jouable… Malheureusement, après avoir vu leur Horde, on se demande si le seul exploit réalisé par Dahan et Rocher n’a pas été d’initier dans l’esprit du spectateur une réévaluation à la hausse de ces navets. En tous cas, c’est indubitablement une pelletée de plus pour le trou où s’enterre année après année le cinéma d’horreur français.

Des flics un peu ripoux veulent buter des dealers retranchés dans la tour à moitié abandonnée d’une cité pourrie. Alors que la situation dégénère et que les idées manquent, les zombies envahissent le décor. Arrivés sur le toit, les deux groupes antagonistes constatent que l’invasion est générale. Ils n’ont, bien sûr, que le choix de s’unir pour redescendre dans la rue, là où sont tous les zombies, alors que les balles manquent.
On peut deviner la finalité de l’ensemble. Il s’agirait de réutiliser la mythologie du film de zombies en l’adaptant à la réalité des banlieues françaises, comme Romero qui, dans ses premiers films, nous parlait de l’Amérique profonde. Placé dans un tel contexte, les factions rivales qui transforment la cité en terrain de guerre auraient à faire face à une horde de zombies, métaphore monstrueuse de la déstructuration totale de la société. Convoquer les codes du cinéma de genre américain pour les mixer avec les particularismes français en confrontant une topographie très américaine à des personnages encrés dans la réalité franchouillarde. Le récit débouchant sur une issue radicale et désespérée, le constat des réalisateurs calquerait alors celui du cinéma contestataire américain dans son profond nihilisme.
Le problème, c’est qu’ils ont beau se raconter le film qu’ils aimeraient faire, tout dans La Horde reste au niveau du brouillon. Et si au moins quelque part les réalisateurs ont fait preuve d’une bonne intuition, c’est dans le choix du casting : Eriq Ebouaney, le Lumumba de Raoul Peck, ainsi que Claude Perron, une habituée des films de Dupontel). Mais aussi l’incroyable Jo Prestia, le Ténia d’Irréversible, le vieux Yves Pignot, ici cabotinant pour rien et Aurélien Recoing au physique très puissant, mais malheureusement très vite dégagé du film.

Il n’est pourtant pas question ici de les blâmer parce qu’ils jouent tous comme des cochons. S’il ne fait nul doute qu’ils connaissent leurs gammes, les pauvres sont à la merci, non seulement de la partition effroyable qu’on leur fait jouer, mais surtout d’une absence totale d’orchestration. Abandonnés, ils font ce qu’ils peuvent pour se dépêtrer de personnages creux aux enjeux confus, ne pouvant que suivre un script indigent aux pistes narratives éventées.
Aucune chance n’est laissée à ces personnages aux destins sans intérêt et dont on se contrefout, toute identification étant sabrée par une radicalité de façade et par les choix hasardeux d’une réalisation semblant mettre flics et dealers dans le même panier, sans qu’aucun propos ne vienne justifier cette confrontation. Ils sont juste là, lâchés pendant une heure et demie, seuls avec le spectateur. Le film n’a rien à dire et pas grand-chose à montrer, jusqu’au générique final où un titre de hip hop chanté par Doudou Masta (qui interprète l’un des dealers) finit par mettre le spectateur de leur côté par un clin d’œil forcé (inconscient ?), créant l’impression d’avoir assisté à un spectacle irresponsable, bien loin de l’irresponsabilité ludique et assumée des meilleures émanations du crew Kourtrajmé.
Aussi nul que soit le film, rien n’est plus dérangeant que le sous texte très premier degré dont ne savent que faire les réalisateurs et qui nous fait plonger dans une perception consternante de la banlieue. Avec son concierge raciste, ses Noirs dealers, ses toxicos et ses flics ripoux, la vision qui se voudrait cauchemardesque de la société tape dans le vide faute de point de vue et le souci du regard social au travers d’une attitude badass donne finalement corps aux fantasmes beaufs et démagos d’un Charles Villeneuve, renvoyant les clichés racistes des productions de Luc Besson au rang de joyeuses pantalonnades.

Et si au moins c’était efficace dans la connerie… Mais ici tout transpire l’immaturité la plus totale. La gestion de l’espace et du temps sont calamiteuses et les scènes d’action sont confuses et illisibles. Et si les réalisateurs évoquent Peckinpah en interview, espérons juste que ce n’est pas parce qu’ils se sont fait plaisir en étirant jusqu’à l’absurde la durée des fusillades ! N’importe quel comateux engourdi par la lassitude profonde que lui inflige cette merde, mais maintenu éveillé par la bande son tonitruante, pourrait faire la différence !

Au fur et à mesure que les protagonistes descendent les étages, la réalisation est de plus en plus bâclée. Alors comme la première scène ressemble déjà à une scène coupée d’un épisode des Cordiers Juge et flic, vous ne pouvez pas imaginer la consternation qui figea la salle de cinéma au moment du climax désopilant du film. Une scène tellement autre qu’on imagine que La Horde aurait eu sa place entre Atomic College et Surf Nazis Must Die si elle ne s’était pas autant prise au sérieux ! Si l’on a très peu vu les zombies dans le film, c’est parce qu’ils se regroupent en masse pour nous offrir ce moment intense où s’alternent l’atterrement, la honte et au final le soulagement, celui de ne pas compter les auteurs de cette farce gonzo comme membres de sa famille.
Les notes d’intentions sont d’une telle évidence qu’on devine, vignette après vignette, comment on pu naitre ces idées pondues au gré des joints qui se roulent. On imagine sans peine l’idée de potes trouvée un soir de beuverie : « Putain les gars, imaginez un flic badass armé d’un flingue et d’une machette sur le toit d’une caisse avec des centaines de zombies autour ! » « Ah ouaiiiis, répond Dahan qui finit sa bière, comme si Frazetta buvait un coup avec Romero ?! » Ainsi a du naitre la grande idée du film, LA scène iconique qui finira sur l’affiche et dans tous les teasers !
Pour cette horde, ils ont recrutés 300 fans sur internet. L’idée n’est pas mauvaise, ça fait déjà 300 personnes qui iront voir le film avec un fort a priori positif, et ils emmèneront probablement leurs potes et leur famille, c’est toujours ça de gagné. On passera sur la crédibilité de la démarche, parce que pour incarner la population d’une banlieue laissée à l’abandon, filmer 300 geeks qui ont tous des gueules à tourner sous linux, c’est déjà bien con mais si en plus on oublie de les maquiller et que les plans sont assez longs pour qu’on grille les trois connards qui rigolent et celui qui comprend rien et qui fait le zombie à contretemps, le bouquet final est digne d’un crash à la Challenger, mais en moins spectaculaire.
Pour couronner le tout, les deux réalisateurs semblent si fascinés par leur séquence qu’ils ont visiblement tenté tous les mouvements de caméras et tous les plans possibles… A l’écran c’est tellement bien ficelé qu’on a juste l’impression de voir les rushs montés bout à bout. Surréaliste.
En fait tout ça est à l’image de la naïveté touchante des caméos des deux lascars : Rocher intervient sous la forme d’une tête tranchée, notons qu’il est assez juste dans son interprétation. Plus en tous cas que Yannick Dahan, toujours plus extraverti et visiblement tout content d’incarner le dernier zombie dans une scène de fusillade où durant de longues minutes des figurants hilares sont passés à la sulfateuse sans pour autant que les cadavres ne s’accumulent. Tant qu’on se fait du bien personne ne s’occupe de savoir si ce moment purement potache ne serait pas en contradiction totale avec le tragique appuyé du dénouement.

Alors on a cherché ce qu’il pouvait bien y avoir de badass dans La Horde. On ne l’aura finalement su qu’une bonne semaine après sa sortie : le seul truc de badass dans La Horde ? C’est la violence avec laquelle elle s’est plantée au box office. Bénéficiant pourtant d’une large promotion, le film est retiré tout penaud des salles en 10 jours. Non seulement le film bande mou, mais en plus il aura été sacrément rapide à venir…
Deux millions d’euros pour un résultat navrant d’amateurisme, et pendant ce temps là, dans le documentaire Viande d’origine française, les réalisateurs de cette nouvelle vague horrifique française se demandent si ce cinéma à sa place en France. Ils devraient plutôt s’interroger sur ce qu’ils ont à proposer avant d’exhorter le public à se mobiliser pour voir en salles des purges onanistes de fanboys ou des expérimentations prétentieuses et essoufflées. Ils se vautrent dans une transgression dépassée depuis 20 ans qui leur sert d’alibi pour hurler à la censure en vulgaire cache misère d’une absence abyssale de propos et de talent.


(1)On les retrouve tous réunis sur le documentaire Viande d’Origine française produit par les frères Rocher, réalisateur et producteur de La Horde : Xavier Frontières Gens, Fabrice Vinyan du Weltz, Julien Maury & Alexandre Bustillo d’A l’intérieur, Maulon et Thevenin pour Humains, David Mutants Morley, Pascal Martyrs Laugier et bien sûr Dahan et Rocher…