MESRINE : L'INSTINCT DE MORT

L’Instinct de Mort est le premier volet du diptyque consacré au célèbre Jacques Mesrine. Fort d’une promotion mastoc dans les médias, on dépoussière le mythe tout en (r)assurant qu’on n’a pas cherché à idéaliser la puissance romantique de la carrière du plus célèbre bandit que la France ait connu.
Produit par le Langmann le foncedé, L’Instinct de Mort ainsi que la seconde partie Ennemi Public n°1 a connu des années de développement hasardeux avant de terminer sous la caméra de Jean François Richet et incarné par Vincent Cassel. Nanti d’un budget bien confortable (plus de 20 millions d’euros pour celui-ci, 45 au total) et porté par une promo rouleau compresseur, bénéficiant d’un sujet en or et d’un casting vendu comme prestigieux, L’Instinct de Mort était la promesse française de la rentrée. Oublié le gros rouge et ses légions à la con, ridiculisé le Bond pleurnichard qui a perdu sa copine, c’est Mesrine l’évènement de la rentrée. La critique est unanime, ou pratiquement : C’est un spectacle trépident, nerveux, une leçon de cinéma à l’américaine et surtout, surtout, Cassel ! On lit un peu partout que son interprétation serait monstrueuse, on évoque Lee Marvin ou Widmarck… En une semaine passé à la trappe la prestation du comique dont on a déjà oublié le nom et qui a joué Coluche !
Alors, pour être sincère, j’étais plutôt emballé par le projet, le choix des protagonistes (Richet et Cassel) était assez excitant et avec un petit peu de naïveté on pouvait espérer que Langmann finirait par produire un film correct… Et pourtant, en sortant de la salle, je ne suis guère surpris. Un navet de plus au compteur pour le producteur, une interprétation en roue libre de plus pour Cassel et une preuve de plus que Richet régresse lentement mais sûrement de film en film !
La première chose qui cloche dans ce qui s’apparente au final à un épisode inédit de la truculente série des Cordiers Juge et Flic, c’est avant tout le script. Ecrit par le scénariste de la série télé La Commune, le film fait le choix surprenant et peu subtil d’enfiler des scènes à fond la caisse, chacune ayant généralement une idée (et une seule) à faire passer : Mesrine le raciste, Mesrine le gentil papa, Mesrine le méchant mari, Mesrine le flambeur, Mesrine le dur à cuire… On a ainsi un empilement de tableaux plus ou moins inspirés qui défilent tous à fond la caisse (2 minutes en Algérie, 2 pour la rencontre avec Jane Schneider, 5 en prison, 3 pour l’évasion etc etc etc). La fragmentation ainsi créée (et qui m’a rappelé ce qui m’avait gêné sur L’Ennemi Intime de Siri) finit par produire un film sans narration et au rythme incohérent débouchant inévitablement sur une histoire sans enjeux et donc sans aucune émotion. Cet enchaînement frénétique débouche également sur une gestion calamiteuse du temps : à aucun moment on a l’impression que les années défilent, des mois en prison passent comme si c’était deux jours... C’est donc plat, et assez vite on se fait poliment chier.
Le film n’a aucune vision globale de Mesrine à offrir, se refusant juste une iconisation romantique du personnage. D’ailleurs la seule question sur le personnage que les medias se posent, et c’est une des seule question que le film traite c’est… Faut il dire Merine ou Messerine ?! Tout juste navrant…
C’est surtout navrant quand on connaît le matériau de base, raconter dix ans en deux heures c’est bien sûr pas évident mais pourquoi n’avoir pas eu recours à la voix off ?! Certains passages du livre semblaient idéals pour ça, et cette solution aurait permis de faire respirer le rythme du film tout en faisant progresser les enjeux psychologiques et politiques auxquels Mesrine s’est confronté. Bon, ça, lorsqu’on voit le film on se rend compte qu’ils s’en foutaient éperdument alors on voit ainsi à la place les extraits de sa vie défiler progressivement. Finalement, c’est le cul coincé dans notre fauteuil qu’on passe le temps à noter l’exactitude de tel ou tel détail (la valise au début du film est bien bleue, c’est bien telle banque qu’ils ont attaqués, les barbelés du QHS correspondent aux photos…), à se faire des remarques sur le choix d’un casting rigolo (Guido le vieil italien incarné par Depardieu pourquoi pas, Schneider qui avait fait flasher Mesrine car elle ressemblait à Annie Girardot incarnée par Cécile de France c’est marrant, Lellouche en Paulo c’est comme si Dubosq allait jouer Broussard…) et finalement jauger les choix du scénariste d’éclairer tel épisode ou de couper tel autre.
Sur ce dernier point, on remarque étrangement que tout ce qui pouvait donner du sens a été éludé, et notamment dans la partie au Québec. La description du paradoxal univers carcéral québécois (prison modèle et QHS inhumain), la personnalité de Mesrine, son rapport à la violence (ultra caricaturale dans le film) à la société et à l’enfermement, le procès à propos du meurtre de la vieille aubergiste que Mesrine a gagné et qui a provoqué en lui une véritable rupture et qui fut un moment suffisamment important pour qu’il décide d’écrire un livre sur cet épisode. Oubliées aussi les raisons qui poussèrent Mesrine et Mercier à retourner au QHS pour libérer les prisonniers, oubliés les autres prisonniers qui s’évadèrent avec eux… La psychologie reste paresseusement à un niveau si misérable qu’un logo Europa ne m’aurait pas surpris : le jeune Mesrine sous la coupe du vieux parrain paternaliste, au secours ! Je me souviens avoir trouvé la mythologie mise en place dans La Mentale par Bibi Naceri confondante de nullité, mais on est bien ici dans le même type de « réflexion » et de clichés. Rien de politique, rien de profond, aucune réflexion, aucun discours… Que de l’esbroufe vaine, sans saveur, vide. Et si le personnage de Mesrine n’est pas écrit, c’est peu dire des personnages secondaires qui ne gagnent aucune épaisseur entre ce qu’on pouvait en voir dans le teaser et ce qu’on en voit dans les 113 minutes du film ! Je ne parle même pas de la police qui n’existe ni en France, ni au Québec !
Ensuite, et c’est quelque part là le plus stupéfiant, c’est que le scénario élude sans aucun scrupule les moments les plus cinématographiques. Les passages en prison, les évasions, les tentatives d’évasions sont quasiment tous passées à la trappe, mis à part l’inévitable passage du QHS de St Vincent de Paul. Les attaques de banques à répétition oubliés (seulement deux scènes de braquage dans un film sur Mesrine, c’est aberrant) la chronique carcérale dégagée (on a l’impression que Mesrine ne passe que trois jours en taule dans le film, ce qui ruine en partie la caractérisation du personnage) et puis il y avait les scènes qui auraient pu en jeter, Mesrine et Schneider en cavale qui passent par Cap Canaveral pour voir le départ d’Apollo XI par exemple.
Dans une mélasse scénaristique pareille qui ferait passer un épisode de la Crim’ pour une fresque épique au souffle romanesque ébouriffant ou un obscur Navarro pour un polar hard boiled tendu du slip, on pourrait se dire que Richet s’est rattrapé en privilégiant l’action. Richet le lascar des cités qui parlait de Marx sur la plage de Cannes, Richet qui finit par réaliser son hommage à Carpenter (en l’assassinant proprement soit dit en passant)… Richet qui ne sait plus quoi faire depuis qu’il a filmé ses potes en train de galérer sur des bancs avait là un sujet en or ! 50% lascar français, 50% action à l’américaine, le fantastique sujet du film aurait normalement du lui offrir l'occasion de boucler la boucle !
Et ben cette boucle, on peut l'oublier ! Richet n’a pas fait le grand huit, sa réalisation s’apparente plus à un saut à l’élastique sans élastique. De moins en moins bon, pour finir de plus en plus mauvais… Richet tente régulièrement de mettre une idée visuelle dans son film, de manière régulière, genre une toutes les dix minutes. Et systématiquement, il les rate toutes. La scène où Mesrine et sa femme sont dans leur appart’ semble provenir du flash back familial d’Un air de Famille, on dirait qu’il a tenté de refaire la même scène mais avec une steady cam rouillée tenue par un myopathe narcoleptique ! Comme s’il manquait un rail sur le travelling ! Par contre il y en d’autres qui ne doivent pas en manquer de rails, vu les idées pataudes et foireuses qu’on nous sert de manière péremptoire : Mesrine est à l’isolement, houlala ça va pas fort dites moi, alors pour nous montrer qu’il a la tête à l’envers, la caméra le filme de travers, puis fait un 360… Quelle audace filmique, quel brio, quelle virtuosité ! Mais au-delà de ces coquetteries que n’ose même plus faire ma petite cousine avec son caméscope lorsqu’elle filme les repas de famille, Richet foire complètement ses scènes dès qu’il s’agit de filmer autre chose qu’une discussion en gros plan dans un bureau ! La scène de torture en prison était déjà ratée, mais la suite semble avoir été shooté par le petit frère du réal de seconde équipe d’un épisode du Commissaire Moulin ! L’évasion rendue possible grâce au copain qui fait ouaf ouaf, c’était déjà bien con… Mais lorsqu’arrive LE clou du spectacle : le retour des deux évadés armés jusqu’au dent au QHS, le film d’une sobriété qui ferait passer un épisode de Plus Belle la Vie pour une épopée de David Lean, se permet d’un coup de nous refaire la fin sur le parking de Ma 6T Va Cracker ! Si le scénario serpente dans les sombres abysses de la facilité, Richet atteint quant à lui les vertigineux sommets de l’incompétence ! Cette scène reprend un fait réél époustouflant : deux hommes retournent au QHS dont ils se sont fraîchement évadés pour aller libérer leurs camarades en leur envoyant des armes. C’est un acte de solidarité incroyable d’une puissance évocatrice folle, c’est le climax du film et c’est à partir de ce moment là que Mesrine sort du gangstérisme classique. Mais du haut de sa montagne Richet décide que pour booster sa scène il a absolument besoin d’en rajouter, puisqu’il la filme et la découpe comme s’il s’agissait d’une scène d’action d’un épisode de Julie Lescaut. Clin d’œil à son cinéma ou au cinéma qu’il aime, il se permet donc de modifier l’Histoire en montrant quatre ou cinq matons et deux prisonniers se faire descendre dans une scène censée être tire larmes et qui à part au flanc ne tire finalement rien du tout ! C’était pas suffisant que ce soit nul, Richet rajoute donc de l’action là où ce n’était pas nécessaire (comme pour la mort violente de Guido), ratant par là l’évocation de cette attaque et tente de rattraper le coup avec une exagération de la violence qui de toutes façons ne sauve absolument pas la séquence mais ruine allègrement la logique historique… Après quatre matons flingués, le statut de Mesrine et Mercier n’est de fait plus le même, et le passage des deux gardes forestiers abattus devient pour le coup carrément caduque !
Alors quoi ? C’est parce que les journalistes du tout Paris flippent de se prendre un coup de boule de la part de Langmann qu’ils sont presque tous unanimement content de ce qu’ils ont vu ? Est-ce que Langmann a menacé le journaliste de Télérama de l’emmener faire un tour dans une grotte à Creil pour qu’il compare cette scène à Luke La Main Froide ou à L’Evadé d’Alcatraz ?!
Si fondamentalement la nullité tous azimuts de la réalisation de Richet n’est pas en soi une énorme surprise, je suis plus troublé par le budget confortable dont a bénéficié le film : un peu plus de 20 millions d’euros. Pour ce tarif on pouvait espérer une reconstitution ambitieuse du Paris des années 60 mais là encore c’est une gabegie totale ! On ne croit absolument pas à l’époque, on ne se sent jamais dans les années 60 et on n’a aucune sensation du temps qui passe. Deux scènes en pleine rue, trois fringues kitchouilles et deux bagnoles ! Ca va c’est facile de reconstituer l’époque quand le film est essentiellement tourné en intérieurs où il n’y a presque aucun figurant mis à part une scène de bal et une autre de casino ! Au final le film parait avoir été tourné avec le même budget que le téléfilm passé sur TF1 l’année dernière dans lequel un sosie d’Alain Chabat jouait Mesrine ! Où est passé le pognon ? Cassel serait-il meilleur que Mesrine pour vider les banques ?! Et qu’on n’aille pas dire que tout est passé dans le budget moustache/perruque !!!
Alors c’est scénaristiquement brouillon, ça n’a rien à dire et c’est artistiquement nul, le film a donc du mal à rendre justice aux acteurs. Comment juger leur prestation alors qu’ils sont tous réduits à jouer des personnages de bande annonce ? Dupuis fait ce qu’il peut, l’accent québécois l’aidant quand même à mâchouiller des dialogues qui ont oubliés d’être écris. Lellouche joue comme s’il était dans un clip de Seth Gueko et le rôle de Cécile De France s’arrête à porter des lunettes de soleil. Depardieu quant à lui est généralement posé là (il n’a qu’une scène debout, sûrement trop cher à assurer pour la prod) et récite sérieusement son texte sous son gros nez, persuadé qu’au milieu d’un tel désastre, un remake terrine camembert de Brando dans le Parrain suffira largement. Et le pire c’est qu’il a raison ! Et Cassel alors ? On lit partout qu’il « bouffe l’écran », si cette nouvelle expression à la con veut dire qu’on ne voit que lui, c’est tout à fait juste. Si c’est pour dire qu’il irradie de talent c’est sacrément exagéré. Pris dans un film qui ne dit rien et qui n’a aucun point de vue, ni scénaristique ni visuel, l’interprétation de Cassel évolue au fil des scènes. Sans progression logique de l’histoire, Cassel se borne à interpréter son Mesrine comme bon lui chante, en totale roue libre, tantôt comme ci, tantôt comme ça, tantôt avec du pain de mie dans la bouche et un accent paysan, tantôt avec une moustache et tout nerveux… Parfois juste, parfois à côté de la plaque, pour un résultat sans aucune cohérence, à l’image du (télé)film. Durant ces presque deux heures on voit surtout Vincent Cassel jouer, il joue Mesrine peut être mais à aucun moment on a la sensation de voir Mesrine en action... On n’y croit pas et vu la nullité du film il faut être vraiment motivé pour s’immerger dans l’histoire !
En conclusion, cet Instinct de Mort est un sacré navet qui arrive à réaliser l’exploit de ne rien avoir à proposer du tout, tout en ratant tout ce qu’il entreprend. Lorsque je lis ici ou là que la suite est nettement plus faible, je n’ose pas imaginer le tableau ! J’irai sans doute de nouveau au cinéma, pour faire la suite de cette note et dans l’espoir de passer deux heures de franche rigolade.
Et puis malgré tous ses défauts, le diptyque Instinct de mort / Ennemi Public n°1 a une qualité indéniable, une qualité que même ma mauvaise foi ne peut passer sous silence, une qualité si grande qu’elle sauverait presque le film : Clovis Cornillac n’est pas au générique. Rien que pour ça, merci.
PS : N'hésitez pas à aller lire les commentaires de cette note, puisqu'on y creuse un peu le sujet ;)